20% de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises en 2012, 40% en 2016. Dix mois après l’Assemblée nationale, le Sénat vient d’adopter la proposition de loi, un électrochoc pour les grands patrons. Environ 2500 entreprises sont concernées.
Comme toujours en France, il aura fallu passer par la loi. Une loi approuvée par plus de 70% des Français qui plus est. Pour mettre fin à la sous-représentation des femmes au sommet des entreprises (moins de 15% en 2010), le Sénat vient d’adopter la proposition de loi Copé-Zimmermann qui contraint les entreprises du CAC 40 et celles disposant d’un conseil de surveillance à instaurer une représentatio équilibrée des hommes et des femmes.
Les sociétés concernées disposeront d’un délai de 5 ans pour s’adapter aux dispositions de la loi, à raison d’une composition égale ou supérieure à 20% de femmes d’ici à 18 mois, et de 40% ensuite. Les sanctions ? Le texte initial prévoyait que toute nomination qui fera obstacle à ce principe serait considérée comme nulle. Et surtout, le non-respect de ces quotas devait entrainer la nullité des décisions du conseil d’administration. Les sénateurs ne sont pas allés jusque là. Ils ont retenu la nullité des nominations et ont ajouté la suppression temporaire des jetons de présence. Les sanctions initiales, sévères, étaient présentées par Marie-Jo Zimmermann, députée de Moselle, avec l’appui de la gauche et d’une partie de l’UMP, contre l’avis du gouvernement.
Les Français favorables aux quotas Septembre 2009, sondage de l’association GEF (Grandes Ecoles au Féminin) : 87% des diplômés des écoles françaises les plus prestigieuses (Centrale Paris, ENA, Ponts et Chaussées, ESCP, Essec, HEC, INSEAD, Mines et Polytechnique) estimaient qu’à diplôme égal il existait des différences de traitement entre hommes et femmes. 55% d’entre eux se déclaraient favorables aux quotas de femmes dans le top management des entreprises. Toutefois, seulement 44% des hommes s’y disaient favorables. « Au sein de cette population issue des grandes écoles, c’est une avancée, commente Véronique Preaux-Cobti, la présidente de GEF. En 2002, une écrasante majorité aurait été contre. Aujourd’hui, après des années de bonne volonté sans aucun changement, il y a une véritable prise que conscience que les choses n’avancent pas toutes seules. » Et dans un sondage publié en juillet 2009 par de Madame Figaro, 71% de Français se déclaraient favorables aux quotas. |
Les nouvelles règles de gouvernance devaient être étendues aux entreprises du secteur public et des EPIC et EPA soumis aux règles du droit privé pour leurs personnels. Mais la rapporteure du texte au Sénat, Marie-Hélène des Esgaulx (UMP), a fait retirer du texte les établissements administratifs, tels que le CNES, le CEA ou les universités : «cette proposition de loi est centrée sur le champ économique et doit le rester», a-t-elle expliqué sans convaincre les patrons d’entreprises privées.
Résistance
L’an dernier, l’annonce par Jean-François Copé de la proposition de loi avait littéralement assommé les grands patrons. « Nous voulons créer un électrochoc », avait reconnu le député. Pour tenter d’éviter la contrainte législative, le patronat avait fait inscrire dare-dare l’objectif de parité dans le code de gouvernance Afep-Medef en avril dernier… mais sans les sanctions. Et il est vrai que, en quelques mois, le nombre de femmes dans les CA des entreprises du CAC 40 est passé de 10 à 15%. Le choix de ces femmes vite recrutées – Madame Chirac, Madame Woerth… – avait fait tordre du nez nombre de femmes dirigeantes lesquelles estimaient qu’il ne fallait pas confondre « femmes » et « femmes de »… Voyant qu’il n’empêcherait pas, pour autant, la loi d’être adoptée, l’Afep a pratiqué un lobbying soutenu en direction des sénateurs pour faire supprimer du texte la nullité des délibérations en cas de non-respect des quotas. Ils ont proposé, à la place, la mise en réserve des jetons de présence des administrateurs.
Les entreprises de plus de 500 salariés
Au-delà des entreprises cotées visées par le texte initial, la commission des Lois a étendu le champ aux entreprises de 500 salariés avec un chiffre d’affaires annuel (ou un total de bilan) supérieur à 50 millions d’euros. La mesure dépasse donc les sept cents entreprises cotées. En pratique, on estime au Sénat qu’un délai supplémentaire sera accordé aux entreprises non cotées, entreprises familiales et autres pour lesquelles l’application de la loi se révèlera plus difficile. Aujourd’hui, la patronat semble résigné à cette contrainte. Laurence Parisot, la patronne du Medef, après s’être dite hostile à la politique de contrainte, juge désormais dans les Echos le texte parlementaire salutaire : « Il y a des moments, sur des grands sujets, où une loi est tout à fait nécessaire.»
L’exemple par le haut
Si cette loi ne rencontre pas d’opposition frontale, des élus regrettent l’énergie mise sur un sujet qui ne concerne que le haut du pavé féminin. Marie-Georges Buffet (PCF) regrette par exemple qu’on ne s’attaque pas d’abord aux inégalités salariales et aux autres questions liées aux femmes dans l’entreprise. D’autres lois s’y sont pourtant déjà essayées : on en compte six depuis 1972… Sans grand succès. Marie-Jo Zimmermann croit, elle, à l’effet d’entraînement du haut vers le bas: « le jour où les CA seront féminisés à 40%, les six lois que nous avons votées seront peut-être enfin respectées ». La science du management enseigne en effet que « un escalier se balaye toujours en commençant par le haut »… Et c’est très poussiéreux !
Au-delà des théories, tout va dépendre maintenant de l’énergie que mettront les dirigeants d’entreprises à composer leurs viviers de femmes candidates à ces conseils d’administration. Quelques entreprises telles BNP Paribas, Michelin, L’Oréal, Pernod Ricard et la Société générale comptent déjà plus de 20% de femmes dans leurs conseils. Les adversaires de la loi , eux, invoquent le manque de femmes à ces hauts niveaux. Anticipant l’objection, Marie-Claude Peyrache et Véronique Préaux-Cobti ont créé, en 2008, le programme « BoardWomen Partners » qui consiste à accompagner les « hauts potentiels féminins » vers ces sommets. Mieux : elles ont convaincu les plus grands patrons de s’engager à prendre en main le programme et à devenir mentors de ces futures dirigeantes. Au Women’s forum qui s’est tenu au début du mois d’octobre à Deauville, une vingtaine de grandes entreprises internationales se sont engagées à favoriser l’accès des femmes aux postes de top management.
Il est vrai qu’à ce jour, le club des femmes qui siègent dans les conseils d’administration de groupes du CAC 40 est encore très fermé : Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, Patricia Barbizet, directrice générale d’Artemis, Laurence Parisot, présidente du Medef, Virginie Morgon, membre du directoire d’Eurazeo… on les surnomme les « golden skirts », les jupes dorées, ces rares femmes qui cumulent les sièges dans les CA. Mais elles-mêmes assurent n’attendre que d’être rejointes par d’autres, pour se sentir moins seules.