La Ville se dilue, la collectivité trinque
En 2020, 60% de la population mondiale sera urbaine… Pendant 50 ans, les agglomérations se sont étendues au gré des possibilités de déplacements automobiles. Mais désormais, c’est la fin de l’extension des « nappes » de pavillons qui grignotent nos champs et forêts, leur cohorte d’embouteillages aux heures de pointe et les millions de m3 de CO2 rejetés. Le couple « pavillon-voiture » entre en crise avec ses nombreux corollaires : impossibilité structurelle de desservir efficacement ces « quartiers » distendus par les transports en commun, relégation des moins aisés en périphérie pour cause d’inflation des prix de l’immobilier en centres-villes, séparation stérilisante entre zones résidentielles et zones d’emploi ou de commerces, dont l’archétype serait Los Angeles.
Ce modèle de développement urbain a fait vendre du foncier, des voitures, de l’essence, des pavillons de banlieue, fait pousser des hypermarchés à la sortie des villes… Il a accru le PIB. Mais, outre les dégâts écologiques et sociaux occasionnés, il entraîne des surcoûts astronomiques pour la collectivité : construire et entretenir les routes et autoroutes, les équipements publics et les divers réseaux et services d’eau, d’électricité et d’évacuation des déchets de ces nouveaux « quartiers ».
Une L.A. en négatif
Comment la ville peut-elle augmenter les nouvelles richesses que sont le temps partagé et le temps pour soi ? Ces richesses se nichent dans un mode de vie où se déplacer ne signifie plus polluer. Elles naissent des contacts dans une cité foisonnante où les cultures se frottent, les intellects s’aiguisent, les équipements et services profitent au plus grand nombre sans alourdir inutilement les comptes publics.
La Ville de demain n’a d’autre choix que d’être mixte et vivante, lieu d’étroite proximité, créatrice d’échanges économiques, culturels et sociaux. Elle peut se reconstruire sur elle-même à chaque opportunité de restructuration, au lieu de s’étendre sans fin. Elle doit s’offrir plusieurs « centres », tous dotés d’emplois, logements et équipements, pour éviter la surchauffe des artères alimentant un cœur unique. Il lui faut pour cela combattre pied-à-pied les clichés : une ville « dense » n’est pas forcément faite de tours et de barres, Paris intra-muros en est un très bel exemple. Il est possible d’allier ville et nature au coin de l’immeuble. Vivre en ville peut signifier un morceau de verdure au bout de son salon, une terrasse, un patio et parfois même une entrée indépendante sur la rue. Les expériences existent, en marge du rêve voulu indépassable de la maison avec jardin. Un mode de vie mobile où l’on allierait transports en commun et déplacements alternatifs, sans exclure systématiquement la voiture de nos vies, est réaliste. Les conditions pour réaliser la Ville durable passent notamment par une nouvelle façon de gérer le foncier. Au-delà d’éco-quartiers emblématiques, tels Bedzed (Grand Londres) ou Vauban (Fribourg) et des certifications environnementales des bâtiments – HQE, bâtiment basse consommation etc. -, de nombreuses expériences de transport, de nature en ville ou d’habitats nouveaux germent et fonctionnent, dans l’Hexagone ou ailleurs.
Villas urbaines et logements individuels « superposés »
Maisons de ville en pierre et bois à patios, habitat individuel « superposé » où les entrées d’appartement sont indépendantes et les terrasses pensées sans vis-à-vis, maisons en bande (juxtaposées) évolutives offrant des qualités d’extension dans le temps (transformation du garage en chambre ou studio par exemple) et différenciées les unes des autres, maisons sans terrain posées dans un jardin collectif…Les variations de l’habitat intermédiaire – entre logement collectif et individuel – se multiplient. Serait-il l’alternative plus urbaine au pavillon ? Si les centres villes et leurs abords offraient plus de logements, en particulier intermédiaires, l’étalement urbain vers la périphérie s’en trouverait limité. Le pavillon avec jardin n’est plus vraiment le rêve absolu des Français, les prix élevés des logements dans les centres urbains illustrent bien leur désir de vivre à proximité des centres, riches en commerces, piscines, théâtres, écoles et autres équipements. Le plan urbanisme, construction, architecture (Puca), section de recherche du ministère de l’Equipement, expérimente depuis le début des années 2000 le concept de villa urbaine durable ou d’habitat individuel « compact » en partenariat avec architectes et promoteurs. Il s’agit bien de faire émerger un habitat intermédiaire et écologique pour maîtriser l’extension sans fin de la Ville. Des expériences ont été menées à Clermont-Ferrand, Rouen, Chalon-sur-Saône ou encore Quimper. Ces tentatives pour construire à coût réduit ont fait jaillir des innovations privées. A Marseille notamment, les villas « suspendues » ou « sur le toit » créées par Nexity-Apollonia en plein centre portuaire dans le cadre d’Euroméditerranée ont constitué une petite révolution des cœurs de ville : appartements familiaux en duplex avec loggias agrémentés de paliers et halls d’immeubles particulièrement vastes et soignés. Des centaines de programmes très divers d’individuels de ville ont vu le jour à Stains, Romainville (93), Maisons-Alfort (94), Vert-Saint-Denis (77), Reims et ailleurs. Peu à peu l’idée avance que la maison individuelle n’est pas seulement une maison dont « on peut faire le tour » Signe des temps, des maisons en bande ont poussé en 2008 en plein XXème arrondissement parisien, conçues par l’architecte Edouard François et promues par l’OPAC de Paris. On n’en construisait plus intra-muros…
La nature se glisse en ville |
Introduire la nature au coin des rues ressemble à une douce utopie, surtout lorsqu’on le perçoit comme une perte d’espace. Les vignes cultivées à Montmartre ou les jardins ouvriers qui ont fleuri pendant plus d’un siècle ont des airs de sympathiques exceptions émergées du passé ou de parenthèses sociales spécifiques. Mais la démarche a autant de vertus que d’exemples au début du XXIème siècle. Recréer du lien social, de quartier, une qualité de vie, permettre la survie des espèces animales et végétales en ville, voire assurer une sécurité alimentaire dans des espaces urbains de plus en plus vastes et coupés de leur arrière-pays agricole sont autant de raisons fortes d’étudier la question. Les jardins partagés –ou solidaires- se sont développés en France depuis la fin des années 1990 dans la droite ligne des jardins communautaires new-yorkais et québécois. Ils sont particulièrement adaptés aux villes denses comme Lille, Lyon ou Paris, très en pointe dans leur essor. Ils émergent à l’initiative d’habitants, sont ouverts à tous pour bêcher, se reposer ou discuter et se glissent dans les interstices entre les immeubles, momentanément ou durablement ignorés par la pression foncière. Même de petits espaces suffisent : une 50aine sont ouverts à Paris. Une façon de rencontrer ses voisins, dans un lieu convivial et de contribuer par la plantation de pieds de fraise ou d’un olivier à rendre la ville moins impersonnelle. Les jardins peuvent aussi devenir verticaux, le long des murs : ils assurent alors une dépressurisation de la ville et une continuité biologique pour préserver la biodiversité. Les toits végétalisés, les balcons ou les toits terrasses plantés contribuent également à l’objectif biologique. Le projet de loi Grenelle 2 prévoit ainsi d’intégrer des « corridors écologiques » dans les documents d’urbanisme tels que les PLU. La sécurité alimentaire des villes implique aussi de préserver ou de créer des espaces agricoles dans les agglomérations. Dans les pays en voie de développement où l’exode rural fait rage et la pauvreté s’accumule dans des espaces urbains anarchiques, des recherches sont menées notamment par Action contre la faim pour promouvoir l’agriculture urbaine. En Occident, des innovations intéressantes se font jour : une serre écologique verticale vient d’être mise au point par une société suédoise pour produire des fruits et légumes bio en pleine ville, sur des espaces réduits. Autre avantage de cultiver en ville : 70% du coût des denrées seraient liés aux transports. Une bonne affaire pour le pouvoir d’achat des ménages. |
De la voiture à l’autopartage |
Faire en vélo électrique ses menues courses quotidiennes, aller travailler en tramway et louer une voiture « en partage » pour partir en week-end devrait être possible demain. Si le retour des tramways dans les villes françaises depuis quelques années améliore les réseaux de transports en commun, ces modes lourds ne suffiront pas à assurer tous les besoins de déplacements. Les crises du pétrole et climatique réduiront l’usage automobile mais pas la nécessité d’être mobile. L’avenir est donc à la complémentarité : les réseaux de transports en commun classiques devront être renforcés. Ils se doubleront de déplacements 0 émission de CO² tel que la marche ou le vélo. Les systèmes Velov et Velib à Lyon et Paris ont marqué la généralisation de l’usage du 2 roues sans moteur y compris pour certains trajets domicile-travail. D’autres moyens de déplacement alternatifs se développent à leurs côtés: le vélo électrique, premier mode de transports en développement en Chine, permet de relayer le vélocycliste fatigué au moment de monter une côte ou d’aborder les derniers kilomètres épuisants. Il n’évite pas de pédaler mais fonctionne en mode mixte. Le covoiturage -où un chauffeur invite, moyennant paiement, des passagers dans son véhicule- fonctionne bien sur les trajets jusqu’à 500 km entre grandes villes. L’autopartage permet quant à lui à des abonnés de bénéficier d’un parc de voitures géré par une structure autonome et d’en disposer à volonté sur un trajet aller-retour. L’occasion par exemple de partir en week-end sans s’encombrer matériellement et financièrement d’une voiture à plein temps. On estime que pour chaque voiture en autopartage, 5 places de stationnement se libèrent en ville correspondant à la vente de véhicules devenus « inutiles ». La Ville de Paris projette de passer à une échelle de développement supérieure avec un système de type « Velib » dès 2010-2011 : 2000 voitures électriques seront disponibles intra-muros -700 stations de surface et en sous-sol- et 2000 en proche couronne. Autolib vise des trajets courts et occasionnels liés aux loisirs, aux courses, aux déplacements professionnels en journée (se rendre à un rendez-vous…) ou à l’accompagnement des personnes à mobilité réduite. Un pari risqué et couteux mais qui pourrait bien révolutionner le rapport à l’automobile. : plus de propriété mais un usage de service… |