Sur Tiktok, Tanaland est un monde imaginaire interdit aux hommes. Une façon de dénoncer le cyberharcèlement sexiste dont les femmes sont victimes quotidiennement… tout en confortant certains stéréotypes.

Un pays où l’on pourrait s’habiller comme on le souhaite, sans craindre les remarques sexistes “mâle“-venues. Une safe place où l’espace public ne serait pas un endroit hostile aux femmes. Et, surtout, un monde interdit aux hommes. Ce pays n’existe pas en 2024 mais c’est un monde imaginé sur les réseaux sociaux, plus particulièrement Tiktok, où les utilisatrices sont nombreuses à relayer le #Tanaland.
Un aller simple pour Tanaland
Tanaland est présenté comme une terre promise pour les femmes. Enfin libres de s’habiller et de se comporter comme elles le souhaitent. Le mot d’ordre au sein de ce monde fantasmé : vivre tranquillement sans le regard des hommes. Et les utilisatrices de Tiktok sont nombreuses à le revendiquer. Une sorte de mouvement collectif contre le “slut shaming“.
Tanaland est né d’un ras-le-bol généralisé des Tiktokeuses. Ces dernières se font régulièrement traiter de « tana », abréviation de « putana ». Les utilisatrices prennent alors le contre-pied de l’insulte sexiste afin de démanteler le cyberharcèlement masculiniste dont elles sont la cible. « À partir du moment où on n’en a plus rien à faire du regard des hommes et de leurs insultes, qu’on ne leur accorde plus d’importance, et qu’on redéfinit leurs insultes, tout le pouvoir est dans nos mains. Ils ne peuvent plus rien faire, ils n’ont plus aucun pouvoir ! », s’enthousiasme la créatrice de contenus Kriplusfort sur Instagram.
Une libération qui n’échappe pas aux stéréotypes de genre…
Petit à petit, l’idée du Tanaland prend forme. Aujourd’hui, il compte 18 millions d’habitantes. Un gouvernement est nommé, avec la chanteuse Aya Nakamura comme Première ministre et les influenceuses Toomuchlucile et Polska en Présidentes du pays. Un drapeau ainsi qu’un hymne sont même imaginés. Petit plus : il fait soleil tous les jours et le rose est la couleur nationale.
Une impression de déjà vu ? Ce paradis « féministe » imaginaire est un clin d’œil au Barbie World imaginé par la réalisatrice Greta Gerwig dans son film Barbie (2023). Un film porteur de nombreux messages féministes, mais avec son lot de stéréotypes sexistes. Les instigatrices de Tanaland sont avant tout des influenceuses arborant des faux ongles interminables et des tenues sexy, soit l’attirail de la « bimbo », à l’instar de Polska et Toomuchlucile, ce qu’elles revendiquent d’ailleurs. « Je m’habille comme je veux, il y a un décolleté, un nombril, une jupe. Ça c’est du tana présidentiel. Je suis une tana parce que j’ai des comptes publics sur les réseaux sociaux et j’ai des abonnés. Je suis une tana parce que je me maquille. Je suis une tana parce que j’ai des faux cils et des faux ongles. C’est une théorie pour savoir le niveau de “tanalisation“ de quelqu’un : plus ses ongles sont longs, plus c’est une tana. Je suis une tana parce que je parle mal des hommes… », énumère Toomuchlucile sur Tiktok.
Si l’initiative du Tanaland lève le voile sur cette vague de cyberharcèlement sexiste, elle reste néanmoins limitée. L’émancipation des femmes dans ce pays fictif reste conditionnée par des archétypes de genre qui ont la peau dure, voire perpétuent l’idée d’une « féminité » formatée par le regard masculin.
Derrière la blague, la réalité du cyberharcèlement sexiste
Ce phénomène de slut shaming est un véritable fléau pour les femmes sur les réseaux sociaux. Si le Tanaland reste de l’ordre de l’imaginaire et, surtout, de l’humour, il dénonce avant tout le sexisme omniprésent sur internet. 84% des victimes de cyberviolences sont des femmes selon l’enquête 2022 de l’association Féministes contre le harcèlement. « Dès qu’il y a une meuf, vous êtes sûrs de trouver au moins cinq commentaires de personnes qui l’insultent de Tana », rapporte Polska dans une vidéo sur Tiktok.
En réaction au Tanaland, les masculinistes n’ont d’ailleurs pas pu s’empêcher de réagir. Leur réponse ? « Charoland ». Mécontents de voir les femmes les exclure de leur monde parfait, certains internautes ont alors imaginé un second pays imaginaire rempli de femmes nues et où les hommes pourraient se comporter comme ils le veulent. Là aussi, une impression de déjà vu…
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