Les invectives sexistes ont fusé au tribunal judiciaire de Paris lors de l’audience correctionnelle de Gérard Depardieu. Les « droits de la défense » ont été outrepassés dénonce un collectif d’avocat.e.s dans une tribune. Entre « l’ancien et le nouveau monde », la justice doit trancher.

Quatre jours d’audience et une multitude d’invectives sexistes. Le premier procès de Gérard Depardieu pour violences sexuelles s’est tenu du 24 au 27 mars 2025 au tribunal judiciaire de Paris. L’acteur est accusé par deux femmes d’agressions sexuelles sur le tournage du film Les Volets verts de Jean Becker en 2021. Pour le défendre : Mᵉ Jérémie Assous. La défense choisie par ce dernier est décriée par ses consœurs et confrères qui publient une tribune dans Le Monde.
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Argumentaire sexiste
« Madame », « Chère amie », « Mademoiselle » , « Allez pleurer », « C’est quoi ce rire d’hystérique ? », « C’est insupportable, déjà votre voix, c’est dur ». C’est ainsi que Mᵉ Jérémie Assous interpellait les plaigantes Amélie et Sarah et leurs avocates Mᵉ Carine Durrieu-Diebolt, qui a également défendu deux autres plaignantes Charlotte Arnould et Lucile Leidier, et Mᵉ Claude Vincent.
Quelques mois après le procès des viols de Mazan, où le comportement provocateur et indécent de certain.e.s avocat.e.s de la défense avait choqué, cette stratégie sexiste interroge. De tels propos peuvent-ils être tenus lors d’une procédure pénale ? Si l’avocat de la défense peut mobiliser les « droits de la défense », la rhétorique choisie lors de ce procès n’en relève pas selon les signataires de la tribune. « La défense, encouragée tant par le mutisme absolu du tribunal dans son ensemble que par l’absence de réaction de l’ordre des avocats, pourtant représenté, s’en est donné à cœur joie en matière de sexisme et de misogynie, allant bien au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler, même de manière extrêmement large, les « droits de la défense » », dénoncent les signataires. L’avocate spécialisée dans les violences faites aux femmes Anne Bouillon, ajoute, dans une deuxième tribune publiée dans Libération : « L’exercice trouve ses limites dans la nécessaire sérénité des débats, l’ordre public et les obligations d’humanité et de délicatesse qui fondent notre serment. Défendre ou faire du cinéma (les deux étant parfois concomitants) n’autorise pas tout ».
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Le collectif d’avocat.e.s souhaite en finir avec un système judiciaire patriarcal, d’autant plus dans un contexte où « le masculinisme a le vent en poupe et [que] le combat contre les inégalités femmes-hommes doit être l’objet d’une vigilance redoublée ». « Viser de manière répétée des consœurs car femmes, adopter une stratégie clairement sexiste, porter atteinte au respect de la robe qui leur est dû en attaquant leur sexe et/ou leur genre, ne doit plus avoir sa place, jamais, dans une enceinte judiciaire française. », interpellent les signataires.
Interviewé par BFM le 30 mars, Mᵉ Jérémie Assous estime quant à lui que « Ça s’est extrêmement bien passé. C’était une audience avec d’énormes tensions et extrêmement violente […] qui a permis de faire éclater la vérité. Pourquoi j’ai reçu autant de critiques depuis la fin de l’audience ? C’est parce que ces quatre jours d’audience ont permis de démontrer que tout ce qui a été présenté comme à charge ne l’était pas ».
Décrédibiliser la parole des victimes à coup d’attaques sexistes. La plaidoirie de Mᵉ Jérémie Assous, repose sur un système patriarcal, où les victimes de violences sexuelles sont tenues au silence. Une rhétorique qui relève d’« un ancien temps », auquel Gérard Depardieu dit lui même appartenir. Or, selon l’avocate Anne Bouillon « une autre défense était possible ».
En finir avec la victimisation secondaire
Les victimes de violences sexuelles subissent, quasi systématiquement, la victimisation secondaire. Le système judiciaire est ainsi fait. Lorsqu’elles portent plainte – elles restent une minorité à le faire – la procédure judiciaire et pénale leur inflige de nouvelles violences : culpabilisation, consentement présumé, ignorance des phénomènes d’emprise ou de sidération… Lors du procès de Gérard Depardieu, cette mécanique se met en place. « Votre trauma, quand bien même l’agression aurait bien eu lieu, il est relatif ! C’est pas Guy Georges ! », lance Mᵉ Jérémie Assous à l’une des plaignantes, comme le rapportent plusieurs médias.
« Brutaliser, humilier et finalement chercher à anéantir la plaignante (ou son avocate) appartient je crois à une défense d’un autre âge », s’indigne l’avocate Anne Bouillon, qui remettait déjà en question le sexisme ancré dans le système judiciaire dans son livre Affaires de femmes. Une vie à plaider pour elles (Iconoclaste, 2024). Elle renouvelle son propos dans Libération : « Les plaignantes ont été prises à partie par un avocat agressif et méprisant. C’est une autre caractéristique de ces procès. Les femmes qui parlent prennent le risque d’une absolue violence d’audience. »
Très médiatisé, le déroulé de l’audience est loin d’être le signe d’un progrès et d’une prise de conscience. « Ces processus de victimisations secondaires doivent être combattus. Ils ne sont que l’expression d’une misogynie qui reprend du souffle dans les prétoires comme ailleurs. Personne n’en ressort grandi. », insiste Anne Bouillon.
L’avocate va même plus loin et imagine l’autre défense qu’auraient pu tenir Gérard Depardieu et son avocat et en quoi elle aurait été véritablement enrichissante. « Il aurait pu choisir de tirer profit de ce rendez-vous avec la justice (qui est aussi un rendez-vous avec lui-même), pour se livrer à une introspection salutaire » et « il aurait compris qu’il n’est pas un monstre, qu’il n’est effectivement pas Emile Louis, mais un homme ordinaire et puissant pétri de biais de représentations sexistes qui n’a pas cru utile de se préoccuper du consentement des femmes qui ont croisé sa route », estime l’avocate. Elle conclut : « Il aurait pu choisir, avec courage, de franchir l’espace qui sépare le vieux monde auquel il dit appartenir de celui d’aujourd’hui, qui tente d’éradiquer les violences subies par les femmes et les enfants. Il a préféré rester dans le sien ».
Le tribunal correctionnel de Paris rendra son jugement le 13 mai. En attendant, les femmes, plaignantes comme avocates, restent victimes d’un sexisme profondément ancré dans le système judiciaire. Mais les voix sont de plus en plus nombreuses à s’élever pour le contester et y mettre fin.
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