Le 4 décembre 2024, le jury du Prix Albert Londres a récompensé la journaliste Lorraine de Foucher pour ses enquêtes sur les violences masculines. Un choix qui marque une bascule dans le milieu du journalisme « qui ne brillait pas par son féminisme ».
C’est la distinction la plus prestigieuse du journalisme francophone. La remise du Prix Albert Londres a eu lieu Mercredi soir au Centre Pompidou à Paris et a récompensé trois journalistes. Parmi eux, Lorraine de Foucher pour ses enquêtes sur les violences masculines publiées dans le journal Le Monde. 86e prix Albert Londres, la lauréate devient, à 38 ans, la 18ème femme à être récompensée dans la catégorie presse écrite.
Enquêter sur les VSS
Lorraine de Foucher « s’attaque à des sujets trop longtemps tus », salue le jury du Prix Albert Londres. Depuis 2017, la journaliste enquête sur des faits de violences faites aux femmes. Elle a publié des reportages et des enquêtes sur l’affaire des viols de Mazan, les femmes migrantes violées, les victimes de l’industrie du porno, les jeunes filles exploitées sexuellement à Perpignan ou encore les adolescents tueurs à gages. Elle « les traite avec curiosité, style et respect », avec une écriture « haute couture », reconnaît le jury. Dans son discours, Lorraine de Foucher remercie Le Monde de lui avoir permis « de mettre en Une des mots aussi tabous à l’époque que “féminicide“, “inceste“, “porno“ ou “pédocriminalité“ ».
En recevant le Prix Albert Londres, la lauréate se réjouit du « message politique » envoyé. « La documentation des violences masculines est un champ journalistique à part entière et qui n’est malheureusement pas près de disparaître, interpelle-t-elle, avant d’ajouter : On me dit très souvent que c’est effroyable ce sur quoi j’écris. C’est effroyable à lire, désolé pour les lecteurs qui s’avalent mes papiers. Ça l’est un peu plus à écrire évidemment, mais imaginez ce que c’est à vivre. Je crois très profondément que le journalisme doit affronter cet effroi. Avec ce prix, je souhaite que notre profession puisse mieux accueillir les parcours vulnérables. »
Précarité et maternité, le parcours de Lorraine de Foucher
Lorraine de Foucher n’est pas habituée à parler d’elle, prévient-elle en introduction de son discours. « En général, je fais ça à travers les histoires des autres. Mais ce soir je vais faire l’inverse. Je vais vous parler de moi pour parler des autres ».
Elle poursuit : « Il y a quinze ans, j’étais une étudiante de 22 ans qui rêvait de grands reportages à l’autre bout de la planète. À la place, j’ai accouché le jour de mes 23 ans ». Dans son discours, la journaliste évoque ses débuts dans « le monde hostile de la télévision » en tant que « mère célibataire et précaire ». « À chaque nouveau contrat, j’étais convoquée dans le bureau de mon supérieur qui m’expliquait qu’il ne voulait surtout pas entendre parler du fait que j’avais un enfant à gérer. Je pensais que ma vulnérabilité génèrerait de la générosité, c’était plutôt l’inverse qui se produisait, déplore t-elle avant d’ajouter : J’ai failli arrêter ce métier plusieurs fois car c’était souvent impossible de jongler entre les horaires baroques des piges, le manque d’argent, l’éducation d’un enfant et aussi, il faut l’appeler comme ça, le harcèlement sexuel et moral que l’on peut subir quand on est une jeune femme dans un milieu qui ne brillait pas par son féminisme. »
La nomination de Lorraine de Foucher est le symbole d’une évolution sensible dans le milieu du journalisme. Le système médiatique a longtemps participé à la minimisation, voire l’invisibilisation, des violences sexistes et sexuelles. Désormais, les grands médias traditionnels sont moins frileux aux questions de féminisme et sont plus nombreux à enquêter sur ces sujets. En conclusion de son discours, la journaliste « dédie ce prix à toutes les femmes de [ses] articles. Puissent-elles, elles aussi, trouver un peu de sens qui calmerait enfin toute cette violence. »
Le discours très émouvant de Lorraine de Foucher dans cette video vers 2:00:00
À lire dans Les Nouvelles News :
DENISE BOMBARDIER, LA JOURNALISTE QUÉBÉCOISE QUI DÉNONÇAIT LA MISOGYNIE FRANÇAISE
FEMMES JOURNALISTES : LA VIOLENCE EN LIGNE CONDUIT À L’AUTOCENSURE
LE PRIX MONDIAL DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE REMIS À TROIS JOURNALISTES IRANIENNES EMPRISONNÉES
SEXISME DANS LE JOURNALISME SPORTIF : MARIE PORTOLANO NE RIT PLUS
SHIREEN ABU AKLEH, JOURNALISTE TUÉE EN CISJORDANIE
MARINA OVSIANNIKOVA : LA JOURNALISTE RUSSE QUI DÉNONCE LA PROPAGANDE
SYLVIE PIERRE-BROSSOLETTE, UNE JOURNALISTE À LA TÊTE DU HCE
LAUREN BASTIDE : « 90 % DES JOURNALISTES QUI ONT PARLÉ DE ‘PRÉSENTES’ SONT DES FEMMES »