Victime d’une énième humiliation sexiste, une journaliste en presse locale dénonce les propos d’un élu à son égard. Une prise de parole soutenue par son propre média et qui bouscule les mentalités arriérées dans le milieu politique vis-à-vis des femmes.

Être une femme journaliste en presse locale ou régionale, c’est devoir régulièrement faire face au sexisme de ses interlocuteurs. Dans une lettre ouverte, publiée le 6 décembre, Eva Chibane, journaliste, 24 ans, pour le média indépendant Le Trois, dénonce les propos sexistes de Florian Bouquet, président du conseil départemental du Territoire de Belfort, lors d’une conférence de presse.
« Parce que les femmes, elles aiment l’argent »
Le 26 novembre dernier, une poignée de journalistes issus de médias locaux sont réunis par l’élu dans son bureau, à l’hôtel du Département, pour recueillir son point de vue sur un dossier opposant la collectivité à une structure qui dépendait d’elle. « Dans cet immense bureau, il n’y a que des hommes. Quatre journalistes masculins d’autres médias sont là. Il y a aussi un chargé de communication de la collectivité. Et lui. », se remémore Eva Chibane. Au fil de la réunion, est évoquée la somme allouée à la structure chaque année pour la prise en charge de cinq enfants. Alors qu’elle prend des notes, la journaliste est prise à partie par l’élu qui la tutoie : « Je suis sûr que, toi – t’es la seule dame autour de la table – et je suis sûr que tu as retenu le chiffre de 900 000 euros par an pour cinq enfants ! ». La jeune femme, d’abord décontenancée, laisse échapper un « rire nerveux » et répond « Pourquoi ? ». La réponse de Florian Bouquet : « Parce que les femmes, elles aiment l’argent. »
Sur le moment, la sidération envahit la jeune femme, comme tant de femmes victimes d’agressions sexistes. « Je réécoute l’interpellation dont j’ai fait l’objet, puisque j’ai enregistré la conférence de presse, comme à l’accoutumée. Le tutoiement, d’abord. En trois ans et demi, il n’a jamais été permis, ni utilisé de sa part. Je me reproche, d’abord, de ne pas avoir rétorqué quelque chose d’intelligent, de tranchant ». Après coup, elle réalise : « Tout d’un coup, dans ce bureau, je ne suis plus une journaliste. Je suis une femme, vénale, parce que j’ai osé noter un chiffre qui m’intéressait pour un article. »
PQR : les femmes restent minoritaires sur le terrain
Être la seule femme, Eva Chibane est « habituée à ce style de configuration ». « Dans le nord Franche-Comté, il est habituel d’être la seule femme dans une pièce pour une conférence de presse. Que ce soit pour des rendez-vous avec le milieu politique ou avec le milieu industriel. Cela fait trois ans et demi que je me prête à l’exercice. Parfois, en me sentant un peu mise à l’écart dans des assemblées très masculines, mais j’attribue aussi cela à mon jeune âge – je n’ai pas encore 25 ans. », poursuit-elle.
Mais cette fois-ci, c’est l’humiliation sexiste de trop. Dans sa lettre, la journaliste se questionne : « On en entend fréquemment, des petites phrases, dans une journée de journaliste ! On se dit qu’elles sont déplacées, qu’elles n’ont pas leur place dans une conférence de presse. On y pense, souvent, en se disant qu’on pourrait les compiler pour en faire un article de fin d’année, façon sottisier. Et puis, on passe à autre chose, avec toutefois un goût amer qui subsiste. On continue d’exercer notre métier de journaliste, emportés par le rythme d’une actu qui en remplace une autre. Mais en se questionnant tout de même sur notre rôle auprès des lecteurs : faut-il les informer de ces phrases prononcées en aparté par des personnalités publiques ? ». Soutenue par la rédaction du média Le Trois, la journaliste Eva Chibane interpelle les lecteurs, les médias, les politiques : ne plus rien laisser passer.
Suite à l’action de la journaliste et du média Le Trois, Florian Bouquet a adressé un message d’excuses : « Bonsoir Madame Chibane j’ai pris connaissance de votre message. Si je vous ai blessée je vous prie d’accepter mes excuses les plus plates. Bien cordialement. » Or, « le problème n’est pas que j’aie été blessée », insiste la journaliste, citée par France 3 Région, qui a voulu témoigner de cet événement « comme un fait journalistique » car « un élu ne peut plus dire ça ».
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