Contrairement à celle de 2008, la crise actuelle sera plus féroce pour l’emploi des femmes. Le HCE demande de revoir la valeur des métiers et fonctions exercés majoritairement par les femmes.
La crise de 2008 avait affecté l’emploi des hommes, plus que ceux des femmes. Le secteur de l’industrie ayant été, alors, davantage touché que celui des services. Pour la crise économique consécutive à la covid-19, ce sera l’inverse dit une étude de trois universitaires américain.e.s. Le secteur des services est particulièrement touché qu’il s’agisse du commerce, de la restauration ou de l’hôtellerie et du tourisme. Et les femmes y occupent la majorité des emplois. De plus, parce qu’elles portent sur leurs épaules le travail familial et en particulier la garde des enfants, elles sont fragilisées dans l’emploi et, en cas de licenciement, risquent d’avoir le plus grand mal à retrouver un poste.
Et pourtant, les femmes sont en première ligne pendant cette crise, cela a été dit et répété depuis le début. Double peine donc : ce sont elles qui ont le plus travaillé pour subvenir aux besoins essentiels (voir : Les soldates du « care » en première ligne ) ainsi que dans les foyers (voir : Les femme en font plus) mais ce sont elles, aussi, qui vont se retrouver en première ligne sur le front du chômage.
Revoir la valeur des métiers
Alors le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), appelle à revoir la valeur des métiers (voir : Le jour d’après : la valeur sociale des métiers) et au passage donner de la valeur au travail gratuit effectué par les femmes. Un travail sans lequel la société s’écroulerait. Pour donner l’ambiance, sa note est intitulée « femmes providentielles mais invisibles, sous-payées, surchargées » et dénonce une situation que la crise a rendue visible. Alors le haut conseil interpelle la société sur quatre points.
Premier point : « c’est le moment ou jamais de valoriser économiquement le soin et le service aux autres. »
« Il s’agit de la réparation d’une injustice, criante pourtant depuis de nombreuses années mais rendue visible à tous grâce au miroir grossissant de la crise» affirme le HCE. La liste des tâches et métiers sous-payés ou non payés est longue : « soins de santé, soins aux personnes âgées, aide à domicile, commerce alimentaire, enseignement, nettoyage, crèches » . Au passage, des chiffres cités montrent que la France n’a pas de leçon à donner à ses voisins : « pourquoi le salaire d’un.e infirmièr.e est-il supérieur de 10% par rapport au salaire moyen en Allemagne, de 28% en Espagne et inférieur de 9% en France ? »
« L’un des fondements du droit du travail, depuis plus de 40 ans, un salaire égal pour un travail de valeur égale, est bafoué depuis longtemps. » insiste le HCE. En 2017 le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle a comparé plusieurs métiers majoritairement occupés par des femmes ou par des hommes. Un exemple : à l’intérieur d’une même classification, soignante et administrative, de gros écarts perdurent entre un.e infirmièr.e de bloc opératoire (87% d’infirmières) et un.e technicien.ne informatique de niveau 2 (88% de techniciens informatiques et des télécoms) »
Deuxième point : « c’est le moment ou jamais de lutter contre la précarité du travail féminin ».
Le HCE rappelle des données qui donnent le vertige : Dans le monde, 740 millions d’individus occupent des emplois informels et d’après l’organisation internationale du travail (OIT), près de 200 millions d’emplois seront perdus au cours des trois prochains mois, dont beaucoup, précisément, dans les secteurs féminisés. Les femmes occupent souvent ces jobs informels qui n’offrent pas de protection sociale. Et elles sont à la tête de familles monoparentales qui risquent de tomber sous le seuil de pauvreté. De plus, ayant moins de temps et de compétences pour accéder au numérique, elles risquent davantage encore l’exclusion.
Le HCE demande donc : que les mesures de stimulation de l’économie à venir soient prises à l’aune d’indicateurs sexués; que le temps partiel soit mieux encadré, surveillé et que les abus des employeurs soient sanctionnés; qu’un effort de formation des femmes précaires au numérique soit engagé.
Troisième point : « c’est le moment ou jamais d’inclure la mixité dans l’économie. »
Il est probable que la relance économique passe par des investissements dans des secteurs d’activité comptant peu de femmes. Alors le HCE en appelle à l’égaconditionnalité (autrement dit : pas d’égalité des sexes, pas d’argent public). Les mesures de recapitalisation des entreprises françaises et autres aides doivent être conditionnées au respect par ces entreprises, de critères d’égalité des sexes comme elles le sont à des critères environnementaux.
Une attention particulière doit être portée aux travailleuses indépendantes et cheffes d’entreprises. 54% des 500 dirigeantes confinées avec enfants, interrogées par « Bouge ta boîte », considèrent que leur entreprise est aujourd’hui en situation de risque élevé de dépôt de bilan. Et le HCE appelle à ne pas abandonner les efforts faits pour ouvrir plus largement les directions de grandes entreprises aux femmes. Un backlash est si vite arrivé ! (Lire : pour évaluer les mesures économiques d’urgence : 12 hommes, 2 femmes… d’abord) Et réitère son souhait de voir les exécutifs des entreprises appliquer des quotas comme le font désormais les Conseils d’administration.
Quatrième point : c’est le moment ou jamais de repenser les conditions de travail et l’articulation des temps de vie
Le confinement n’a pas eu l’effet escompté sur le partage du temps de travail domestique et familial. Il aurait pu faire sauter à la figure un déséquilibre au sein du couple jusqu’ici camouflé par les habitudes et les stéréotypes. On aurait pu dire « le roi est nu » (voir : Confiné.e.s et égaux en ménage). Mais les enquêtes ont confirmé un déséquilibre qui impacte la vie professionnelle des femmes. Question de vie privée ? « Le privé est politique » ont toujours dit les féministes. Si, par exemple, la politique n’organise pas la garde des enfants, les traditions se chargent de confiner les femmes à la maison.
Alors le HCE demande « une campagne nationale sur le partage des responsabilités familiales comme garant de l’égalité des sexes et d’un équilibre social entre production et interdépendance », une réflexion sexuée sur le télétravail, des avancées sur les congés parentaux ou encore « une réflexion sur la pertinence d’un service public non lucratif de la petite enfance et de la dépendance »
« Le monde, demain exige des solutions de transformation radicale, dont, en tout premier lieu, une prise en compte dans tous les domaines de l’égalité entre les femmes et les hommes » dit le HCE en conclusion.