Un ministre délégué dit s’opposer à la fantasmée « théorie du genre » inventée par l’extrême droite pour saper l’éducation à la sexualité. La ministre de l’Education le recadre sèchement.
Alexandre Portier, ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, a fait un bond de 10 ans en arrière au Sénat, mercredi 27 novembre, en répondant à des questions au gouvernement portant sur l’éducation à la sexualité.
La perche lui a été tendue par le sénateur LR Max Brisson, porte-voix d’associations conservatrices en croisade contre ce qu’elles appellent « l’idéologie de genre ». Le sénateur de droite a voulu s’assurer que « toute trace de ‘wokisme’ sera expurgée » du futur programme « d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité » en cours d’élaboration.
Alexandre Portier reçoit 5/5 le message des mouvements de droite et d’extrême droite
Et Alexandre Portier, s’est lâché : « Il est hors de question de laisser faire tout et n’importe quoi, je vous le dis en tant qu’élu et en tant que père de famille, ce programme en l’état n’est pas acceptable et il doit être revu » a affirmé le ministre. « Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles »
Le ministre délégué voulait ainsi dire qu’il avait reçu 5/5 le message des mouvements de droite et d’extrême droite comme le » Syndicat de la famille » (anciennement Manif pour tous), « SOS-Education » ou encore « Parents vigilants » associé au mouvement Reconquête d’Eric Zemmour. Ludovine de La Rochère du Syndicat de la famille parlait, dimanche 24 novembre, sur CNews d’un « lavage de cerveau idéologique dès l’âge de 3 ans »
Comme en 2014 !
Et c’est reparti comme en 2014 quand François Hollande était président de la République et que le gouvernement finissait par renoncer au programme d’éducation à l’égalité, appelé les ABCD de l’égalité, face aux pourfendeurs d’une « théorie du genre » qui n’existe que dans la tête de ceux qui la combattent.
Lire : Les dérangés du genre à l’assaut des écoles et Éducation à l’égalité : les ABCD bientôt décédés ?
Les associations de protection de l’enfance et de défense des droits des femmes réclament une véritable éducation à la sexualité depuis des decennies. L’ex-ministre de l’Education Pap Ndiaye s’était engagé à rendre effectives, à la rentrée 2024, les trois séances d’éducation à la sexualité par an et par niveau, de la maternelle à la terminale, prévues par une loi de 2001 . Il a fallu attendre encore. Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) doit passer devant le Conseil supérieur de l’éducation pour validation en décembre avant d’être mis en place à la rentrée 2025.
Un programme pour l’égalité femmes hommes et pour la protection des enfants
Et les conservateurs racontent encore n’importe quoi pour l’empêcher. Le journal Le Parisien qui a eu accès au programme Evars relève : « On n’y trouve ni apprentissage de pratique sexuelle, ni promotion d’une quelconque sexualité. Le texte précise son objectif en indiquant que ‘l’éducation à la sexualité est attentive au respect des élèves, de leur intimité corporelle et psychique, de leur rythme de croissance et de développement, de leurs différences et de leurs singularités. Elle vise l’égalité entre les femmes et les hommes ; elle contribue à la lutte contre toutes les discriminations de sexe, d’identité de genre et d’orientation sexuelle ; elle sensibilise au principe du consentement et contribue à la prévention des différentes formes de violences, notamment sexistes et sexuelles. »
Réactions en cascade
Les réactions ont été vives et très dépitées sur les bancs de la gauche mais aussi chez les élus du camp présidentiel. La députée Aurore Bergé, ex-ministre en charge des Droits des femmes a écrit sur les réseaux sociaux : « Un ministre ne devrait pas diffuser de fausses informations en agitant des peurs et des fantasmes pour espérer se faire connaître des Français. Il n’est nullement question de « théorie du genre » dans l’éducation à la vie affective. Il est question de respect, d’égalité, d’intégrité du corps, de consentement, de prévention des violences sexuelles, de protection de nos enfants et de nos adolescents. »
Sur BFMTV, Najat Vallaud-Belkacem, qui était ministre en charge des Droits des femmes en 2014 a dit que ça la rendait furieuse de voir les conservateurs s’opposer à l’éducation à la sexualité. Elle a rappelé qu’on comptait 160.000 victimes d’incestes par an dans notre pays, trois enfants sur chaque classe de 30 . Refuser l’éducation à l’égalité à l’école est de la « non-assistance à personne en danger ».
Protéger les victimes d’inseste sans éducation à la sexualité par l’école ?
Bien-sûr, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), a repris le même argument dans un communiqué ce jeudi 28 novembre. Elle déplore aussi « des voix isolées mais véhémentes se font entendre pour attaquer ce programme et le vider de son contenu, voire pousser le gouvernement à y renoncer » Et appelle à rectifier « les informations mensongères qui propagent une peur infondée parmi les parents d’élèves». La Ciivise affirme aussi que face aux propos du ministre délégué « Jamais le besoin d’instruire les enfants de manière progressive et ajustée à leur âge et de leur permettre de comprendre les enjeux de la vie affective et relationnelle, de l’intimité, du consentement n’ont été plus évidents et consensuels ».
Le collectif pour une véritable éducation à la sexualité, créé en 2022 a réagi dans un communiqué déplorant « l’usage de rhétoriques mensongères des mouvements anti-droits issus de l’extrême droite visant à empêcher l’aboutissement de ce projet essentiel ». Les associations rappellent que « Bénéficier d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle permet d’apprendre le respect de soi et des autres, d’appréhender le consentement, de lutter contre les stéréotypes et toutes formes de violences ». Elles s’appuient sur le séisme provoqué par une affaire symbolique : « En pleine actualité du procès Pelicot, la nécessité de mettre en œuvre une éducation permettant de prévenir les violences et de mieux repérer les victimes ne devrait plus être à démontrer. »
La ministre de l’Education, Anne Genetet, recadre son ministre délégué
Une autre opposition à Alexandre Portier, plus surprenante, est venue la ministre de l’Education, Anne Genetet a rectifié les propos de son ministre délégué. Selon une dépêche AFP, elle a été très claire : « la théorie du genre n’existe pas, elle n’existe pas non plus dans le programme » d’éducation à la vie sexuelle. « Ce programme, je le pilote, et la ligne de ce programme, c’est la ligne du ministère, il n’y a pas de théorie du genre dans ce programme », a-elle martelé en marge d’un déplacement à Marcq-en-Barœul (Nord), dans la banlieue de Lille, sur l’orientation. Ce programme « est très clair », « progressif », « adapté à tous les âges » et « permet d’apprendre des notions fondamentales comme le respect, comme le consentement, savoir dire non, ce que c’est qu’une fille, ce que c’est qu’un garçon », a-t-elle poursuivi.
L’AFP précise aussi qu’Alexandre Portier qui était à Marcq-en-Barœul avec la ministre de l’Education, « a balayé le sujet, tout en affirmant ne pas « retirer un seul mot » de ses précédentes déclarations. » Compte tenu de la virulence des conservateurs, il n’est pas certain que le sujet soit clos.
En fin de journée ce jeudi, la ministre de l’Education a publié une vidéo : « On prend 2 minutes (pour se poser) et pour dire la vérité sur le futur programme à la vie affective, relationnelle et à la sexualité pour nos jeunes. » annonce-t-elle.
https://twitter.com/AGenetet/status/1862177244661035092
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