Deux livres ont fait scandale dès leur sortie. « Moi, les hommes, je les déteste » de Pauline Harmange (Le Seuil) et « Le génie lesbien » Alice Coffin (Grasset). Les idées qu’ils défendent ont parfois été déformées et les formules chocs qu’ils contiennent ont fait mouche prouvant que le féminisme reste une idée subversive en 2020. Laurence Biava a lu ces deux livres. Chroniques.
« Le génie lesbien » Alice Coffin- (Grasset)
J’ai lu ce livre très dense avec beaucoup d’intérêt et de vigilance, et jamais je ne lui ai trouvé des accents séparatistes ou haineux. Le titre légèrement caustique a un lien direct avec l’image d’Adèle Haenel et son poing levé aux Césars 2020 – « je ne pouvais espérer meilleure illustration de ce titre que le geste d’Adèle Haenel quittant la salle Pleyel, alors qu’on vient d’offrir le César du meilleur réalisateur à Polanski ». Très tôt, l’autrice précise, et anticipe, pour doubler les remarques déjà hautement nauséabondes : « ce livre est le livre de combat d’une femme qui a été aimée, respectée valorisée par les hommes depuis sa plus tendre enfance. Je n’ai pas d’autres traumatismes à livrer que celui induit par le spectacle quotidien du comportement des hommes ». Plus loin, on peut lire le fameux extrait retiré de son contexte, délibérément coupé et raccourci par ses détracteurs, qui lui valut tant de remarques acides. Il est question d’« éliminer [les hommes] de nos esprits, de nos images, de nos représentations » pas de les éliminer tout court (page 39). Dommage de cristalliser un agacement aussi vif qu’injustifié envers cette autrice et son si bon livre, dont le sujet principal est avant tout une critique consciencieuse et ciblée des médias, de leurs castes et de leurs fonctionnements. Dès les 50 premières pages, quelques discriminations toutes sexistes du genre masculin vers son double féminin sont pointées du doigt. Il y a cette affaire autour de « la compétence », vous savez, celle qui est censée ne pas distinguer homme et femme mais qui pourtant choisit toujours de favoriser celle de l’homme en premier : comme le dit Alice Coffin, c’est ce maître mot qui neutralise toute critique, « pare-feu de pacotille du pouvoir masculin » et qui fait dire à ces messieurs « Mais voyons, nous ne sommes pas sexistes, c’est une question de compétence ! »
S’ensuivent ces remarques pertinentes sur toutes ces femmes qu’on boycotte au seul prétexte des tripes et de l’émotion ; cette émotion qui, si par malheur on la répand, participe du système d’effacement des femmes par les hommes. Elle l’écrit de manière significative et son constat, là comme ailleurs, est implacable : « La diabolisation de l’émotion est une arme sexiste et raciste ». Alice Coffin refuse le système de domination établi par les hommes depuis des siècles et c’est son droit le plus strict. Elle le dit sans détour, mais ne se montre nullement va t-en guerre, parlant à quelques reprises et plus souvent qu’à son tour, d’égalité femmes-hommes, en mentionnant notamment un symposium où elle était conviée aux Etats-Unis, et où elle vécut en 2018.
Alice Coffin est un des fiers porte-drapeaux de la cause LGBT et lesbienne. En plus de belles pages sur l’importance de la visibilité publique des lesbiennes ou plutôt sur leur trop grande invisibilité avant la publication de ce livre, sur la cause et l’activisme lesbiens, sur ses travaux, ses actions avec le collectif La Barbe et autres avec les féministes américaines, elle évoque plusieurs points fondamentaux : sa décision de ne jamais critiquer publiquement une femme puisque c’est une chose dont les hommes se gargarisent – oui, voir des femmes se crêper le chignon est jubilatoire chez certains – , sur l’importance du travail militant et activiste mené par elle depuis toujours, sur la neutralité dont se repait le cénacle médiatique et dans laquelle il se vautre. Cette neutralité immortalisée par Beauvoir « le neutre, c’est l’homme » que revendiquent les rédactions et tutti quanti, est perpétuellement invoquée et convoquée à deux fins : non seulement elle favorise les corpus blancs hétéronormés – ils sont légion – et déjà en place, mais invisibilise sur les plans médiatique et politique, les femmes, les lesbiennes, les féministes, les personnes racisées, et toutes les minorités. « L’égalité femmes-hommes devrait aller de soi, c’est vrai, mais cela ne va pas avec la neutralité du journal »
L’autrice braque les projecteurs sur ces réalités souvent méconnues des personnes étrangères à ces milieux où pullulent « leshommesentreeux ». « Le génie lesbien » reprend également un certain nombre de constats sur la domination masculine, violences comprises, et sur l’inégalité femmes/hommes. En dénonçant le monopole du pouvoir, du prestige et de l’argent par quelques milliers d’hommes, Coffin pointe les sournoiseries, les lâchetés, les paroles abruptes et malvenues, dans la presse écrite et ailleurs, – les exemples ne manquent pas, comme les gros titres misogynes et sexistes – de tous ces hommes qui font semblant de méconnaître leur privilège de genre, elle revient sur toutes les affaires de violences qui ont investi tous les milieux culturels depuis le début des années 2000, mentionne toutes les discriminations qu’elle n’a cessé de subir dans les rédactions où elle écrivait, parce qu’elle était à la fois femme, féministe, militante et lesbienne, dresse le bilan de tous les préjugés qu’elle a dû combattre, en tant que journaliste média et lesbienne, interroge la difficulté des personnalités publiques à « sortir du placard », « les médias sont l’industrie chargée de verrouiller les portes du placard » écrit-elle (l’homosexualité passe mal dans les rédactions, apprend-t-on) revient sur l’explosion de la parole des femmes après MeeToo, et la guerre que les hommes mènent aux femmes. Par son audace, sa verve, sa fougue, ses déclinaisons, ses analyses d’une grande pertinence, ce livre est un plaidoyer en faveur des minorités et de l’égalité femmes-hommes.
« Moi, les hommes, je les déteste » Pauline Harmange – Le Seuil
Très bien écrit, contrairement à la réputation que ses détracteurs malveillants ont voulu lui tailler, le second livre de Pauline Harmange est – le premier date de 2010 – un excellent petit livre, et a le mérite d’appeler un chat un chat. Il est assez virulent contre les hommes, leurs gestes, leurs attitudes (mais pas que) et explique concrètement pourquoi la misandrie, totalement inoffensive ne peut être « comparée à la misogynie. Tout simplement parce que la première n’existe qu’en réaction à la seconde ». Dans cet ouvrage de quelques 80 pages, Pauline Harmange vise juste et met des mots sur des non-dits. Elle défend la misandrie, qu’elle considère inoffensive car n’ayant jamais tué personne et légitime, en réaction à cette fameuse misogynie à l’origine de violences systémiques, sur laquelle elle revient plusieurs fois, en détail. Très argumenté, réfléchi, bien construit, le livre fait la peau au système patriarcal, dépeint les pièges de l’hétérosexualité, ricane de la théâtralité des réflexes conjugaux, exprime moult médiocrités de ces toutes-puissantes masculinités qui ne doutent jamais de rien, perpétuellement méprisantes à l’égard des femmes à qui elles refusent la place, et fait également le point sur les colères féministes. A cent lieux de la violence dont l’ont gratifié les habituels masculinistes. Comme dans tous les livres féministes publiés lors de cette rentrée littéraire, aucun appel à la haine. Ce livre la joue plutôt self-défense, sans provocation contrairement à son titre, et ses lignes concises taillent dans la chair. Parce qu’il malmène, dit ses quatre vérités à des individus qui, toujours « jouissent de leurs privilèges masculins sans les remettre en question », « Moi, les hommes je les déteste » devrait être lu par tous, et en premier lieu par les hommes, les mansplaners à qui il s’adresse, ces faussaires du féminisme.
Extrait : …Il y a des moments où faire des généralités n’est pas un raccourci facile, mais une simple description de la réalité. Là encore, il faut être sacrément égocentrique pour ne savoir réagir que par un « Tous les hommes ne sont pas des violeurs ! » quand une femme a le malheur de laisser échapper qu’elle en a marre des hommes. Tous les hommes ne sont peut-être pas des violeurs, mais quasiment tous les violeurs sont des hommes – et quasiment toutes les femmes ont subi ou subiront des violences de la part des hommes. Il est là, le problème. Elle est là, l’origine de notre détestation, de notre malaise, de notre méfiance. Mais elle se trouve aussi dans tout ce que les hommes qui ne violent pas font tout de même et ne font pas non plus. Quand ils ne prennent pas leur part de la charge mentale, et qu’au XXIème siècle nous sommes toujours les seules à nous occuper des courses, des gosses et du travail émotionnel dans toutes nos relations. Quand ils ne nous laissent pas la place dans l’espace public, qu’ils monopolisent comme si c’était une extension de leur salon, nous cédant à peine des lambeaux de rue où nous glisser sous leur regard hilare. Quand ils nous refusent notre place dans les conversations aussi, et nous interrompent sans cesse, nous répondent avec paternalisme, reformulent nos idées pour se les approprier, ou font la sourde oreille à ce que nous nous efforçons de dire. Quand ils rient aux blagues sexistes entre mecs parce que ça ne fait de mal à personne. Lorsqu’ils disent qu’on l’avait peut-être un peu cherché, on sait jamais, parfois les meufs qui disent non en fait ça veut dire oui. On a beaucoup de raisons de détester les hommes, si on réfléchit un peu. Des raisons étayées par des faits. Pourquoi les hommes détestent ils les femmes, eux ? Depuis des milliers d’années qu’ils profitent de leur position de dominants, qu’avons- nous fait pour mériter encore et toujours leur violence ? Si la misandrie a une cible, elle n’a pas de victimes dont on égrène le compte morbide chaque jour ou presque. On ne tue ni ne blesse personne…. »
Par Laurence Biava