
S’appuyant sur une étude de l’Insee, des titres de journaux laissent croire que l’ascenseur social embarque davantage de femmes que d’hommes. Ce serait peut-être même l’inverse.
« Les femmes profitent plus de l’ascenseur social que les hommes » écrivent les Echos, L’ascenseur social fonctionne globalement mieux pour les femmes, titre à son tour Europe 1…
Les articles de ces journaux reprennent une étude de l’Insee elle-même titrée : « En 40 ans, la mobilité sociale des femmes a progressé, celle des hommes est restée quasi stable » Pas si vite !
Ces accroches appétissantes ne reflètent pas une donnée qui relativise considérablement le propos : l’ascension des filles est observée par rapport à celle de leurs mères et celle des garçons par rapport à celle de leur père. Et l’étude porte sur les hommes et les femmes âgées de 35 à 59 ans. L’’Insee précise que l’écart : « s’explique en partie par le niveau socioprofessionnel des mères nettement inférieur à celui des pères ». Ce qu’écrivent les journaux cités à la fin de leurs articles.
Que disent les chiffres sur 40 ans ? « En 2015, 71 % des femmes âgées de 35 à 59 ans relèvent d’une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur mère, soit 12 points de plus qu’en 1977. 40 % des femmes occupent une position sociale plus élevée que celle de leur mère et 12 % une position plus basse » Chez les hommes : « En 2015, 65 % des hommes âgés de 35 à 59 ans relèvent d’une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père, une proportion quasi stable depuis quarante ans. 28 % des hommes occupent une position sociale plus élevée que celle de leur père et 15 % une position inférieure. »
Cependant, si les femmes occupent fréquemment une position sociale plus élevée que leur mère, cela n’est toujours pas le cas par rapport à leur père : 25 % des femmes ont connu une trajectoire descendante par rapport à leur père et 22 % un parcours ascendant. »
22 % pour les femmes contre 28 % pour les hommes, il semblerait donc, au contraire, que l’ascenseur social fonctionne mieux pour les hommes. Sauf à considérer, en comparant les femmes aux femmes et les hommes aux hommes, que l’égalité professionnelle ne fait pas partie des valeurs de la République.
Le rapport dit aussi « Si la mobilité verticale des femmes par rapport à leur mère est majoritairement ascendante, elle est au contraire plus souvent descendante par rapport à leur père. » Et on ignore tout de la mobilité verticale des hommes par rapport à leur mère.
Ce qui est compté par l’Institut national de statistique, les indicateurs et critères retenus influencent les politiques publiques. Et ses choix peuvent creuser les inégalités. L’Insee ne compte pas, par exemple, dans sa mesure de la richesse, le travail domestique et familial mais compte le bricolage. Le travail domestique représenterait un tiers fantôme du PIB.
En 2013, une chercheuse de l’Insee s’alarmait de voir que le travail des femmes pouvait être mal pris en compte. Les enquêtes posent par exemple cette question : « Avez-vous dans le cadre de votre métier à porter des charges lourdes ? » Pas sûr que les infirmières ou institutrices y répondent spontanément ‘oui’ car ce sont des personnes, pas des objets, qu’elles sont amenées à porter. Et une réponse négative, dans ce cas, peut conduire à sous-estimer la pénibilité de leur métier. Avec des conséquences sur leurs retraites.
L’Insee met du temps à évoluer. Il a fallu attendre 2004 pour qu’il remplace « chef de famille », par « Personne de référence » alors que la notion avait disparu du Code civil en 1970. Et le « panier de la ménagère » s’est fait détrôner par « panier de consommation des ménages » il y a peu.
Dans un pays qui prône l’égalité professionnelle, prendre pour référence à l’ascension professionnelle des femmes la seule situation de leur mère paraît anachronique.