Babygirl est-il un film féministe ? La question tourne chez les spectateurs et les cinéphiles depuis sa sortie en salle mercredi dernier. Réponse de notre chroniqueuse, Valérie Ganne : « oui, évidemment ! » et c’est d’ailleurs ce qui en fait un film réussi.
Dans une chambre d’hôtel aux rideaux fermés, Nicole Kidman à quatre pattes lape une coupelle de lait devant un jeune homme debout. Cette scène de Babygirl est l’un des jeux sexuels qui lient Nicole Kidman et le magnifique Harris Dickinson. Si j’utilise le nom de Nicole Kidman et non celui de son personnage (Romy), c’est que le spectateur regarde sur l’écran autant l’actrice que la puissante PDG d’une entreprise de robotique. Femme accomplie, il manque pourtant à Romy un petit truc en plus : elle simule l’orgasme avec son mari depuis des années. Ce que nous apprend la première scène de Babygirl. C’est déjà assez subversif, surtout aux Etats-Unis, de traiter de la sexualité féminine aussi frontalement.
Quand ensuite Romy entame une relation avec son stagiaire, nous voici dans la totale inversion des rôles : une PDG profite de son pouvoir pour coucher avec un homme deux fois plus jeune qu’elle. Le stéréotype de la liaison du PDG et de sa jeune secrétaire, vu mille fois au cinéma ou dans les séries, est soudain retournée comme un gant. « Cette femme passe d’objet du désir de son mari à sujet de son propre désir » résume Chloé Thibaud, journaliste et autrice de « Désirer la violence » (éditions Les insolentes).
Le film devient alors encore plus intéressant, interrogeant les relations de pouvoir à la fois dans l’entreprise et dans la sexualité. Nul besoin d’être spécialiste du BDSM, pour deviner que dans un rapport sado-masochiste consentant, le dominé peut contrôler aussi la relation. Voilà qui rajoute du suspens, Babygirl jouant avec les codes du thriller érotique. « C’est le jeu du “je te tiens, tu me tiens par la barbichette”, mais ici, ce n’est pas la barbichette », écrit non sans humour Marie Sauvion dans Télérama. Car c’est aussi une comédie où deux acteurs jouent de leurs maladresses et des rôles qu’ils se donnent. Quel trajet, depuis Basic Instinct ou Neuf semaines et demi, des films des années 90 réalisés par des hommes, qui manquaient singulièrement de second degré en la matière !…
En admirant Nicole Kidman impériale dans ce rôle, on pense à Eyes Wide shut de Stanley Kubrick, qui évoquait le mystère du désir féminin et où elle jouait aux côtés de son mari de l’époque, Tom Cruise. Mais c’était il y a 26 ans. Aujourd’hui l’actrice a dépassé la cinquantaine et ose se montrer nue ou se faisant faire des piqures de botox. On a raillé l’abus de chirurgie esthétique qui figeait ses traits et la faisait ressembler à un « poisson mort » (ce que lui dit d’ailleurs sa fille dans une scène). C’est pourtant aussi une forme de puissance que de montrer la fragilité d’une femme âgée et de changer le regard sur la vie sexuelle des quinquagénaires… et des stars ! Nicole Kidman a été récompensée au festival de Venise pour ce rôle et c’est la moindre des choses.
Babygirl d’Halija Reijn, avec Nicole Kidman et Harris Dickinson, Antonio Banderas distribution SND, en salles le 15 janvier 2025.