En voulant apporter de la nuance dans le mouvement #MeToo, Caroline Fourest rate l’objectif en affirmant que « la honte a changé de camp, mais la meute aussi ».
A peine le mouvement MeToo avait-il démarré en 2017 qu’il était décrié. En réponse au haschtag #MeToo qui fleurissait sur les réseaux sociaux, un hashtag #notallmen laissait croire que les féministes accusaient tous les hommes. Beaucoup criaient à la « délation », travestissant un mot qui désigne des dénonciations mal intentionnées. Une tribune défendant la « liberté d’importuner » avait même été signée par des femmes pourtant féministes… à notre grand étonnement (lire : Pourquoi cette tribune contre #BalanceTonPorc ? ). Caroline Fourest avait alors refusé de co-signer ce texte parce que, affirmait-elle mercredi matin sur France Inter, il arrivait « trop tôt ».
Aujourd’hui, l’essayiste fait le tour des grandes radios et télévisions pour présenter son livre « Le vertige MeToo » (Grasset). Elle veut «retrouver un équilibre, féministe et juste, après le vertige». Mais, si elle s’affirme féministe -et son passé plaide largement en sa faveur- elle déplace le curseur de la « nuance » tellement loin qu’elle finit par jouer contre le camp féministe. Et son propos finit par ressembler aux stratégies discursives qui empêchent le féminisme d’avancer.
Qui décrédibilise MeToo ?
Elle écrit et répète à longueur d’interview : « la honte a changé de camp, mais la meute aussi ». Mettre sur un même plan une « meute » d’agresseurs et une « meute » féministe participe de l’inversion de culpabilité. Inverser les postures a longtemps été l’arme antiféministe de nombreux médias qui désignent les féministes comme les agresseuses et font passer les défenseuses des droits des femmes pour des terroristes, des folles, des hystériques… (lire : Haine antiféministe)
Ensuite, focaliser les réserves vis-à-vis de #Metoo sur des accusations injustifiées ne fait qu’aggraver le discours. Les fausses accusations existent partout, et très largement hors du champ #MeToo. Les mettre au cœur de #Metoo décrédibilise le mouvement dans son ensemble.
Carrière brisée ou privilège amoindri ?
Et les larmes versées sur les carrières brisées des hommes ne servent pas la cause féministe. D’abord il est très difficile de trouver des carrières brisées. Combien d’hommes artistes ou journalistes continuent tranquillement leur vie professionnelle après de graves accusations ? Et il faudrait aussi garder quelques larmes pour toutes les carrières de femmes brisées ou avortées parce que femmes, et donc exclues de cénacles masculins.
Caroline Fourest cite le cas du trompettiste Ibrahim Maalouf qui n’a pas été retenu comme membre du jury du festival de Deauville. Relaxé dans une affaire d’agression sexuelle sur mineure, il a reconnu avoir eu un mauvais comportement. Alors, plaide Caroline Fourest, Ibrahim Maalouf a fait une sorte de mea culpa et tout risque de récidive est écarté… Faut-il accorder un privilège à un homme simplement parce qu’il a un comportement normal ? L’idée est un peu old school. Comme applaudir un homme qui fait la cuisine ou s’occupe de ses enfants.
Et puis, comme l’a fait remarquer Anne-cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes : « faire parti du jury d’un festival n’est pas un droit » qui est refusé. C’est un privilège qui a d’ailleurs très longtemps été refusé aux femmes. Les instances de consécration du cinéma et de la culture en général ayant longtemps été des boys clubs. (lire : Cannes et MeToo : incorrigibles Français !).
Les féministes sont-elles responsables des conséquences des faits qu’elles dénoncent ?
Autre exemple de victime du mouvement de libération de la parole citée par Caroline Fourest : Eric Brion, premier accusé avec le haschtag #balancetonporc, un mouvement lancé par la journaliste Sandra Muller. En 2017, elle invitait les femmes à s’exprimer sur Twitter : « #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Quatre heures plus tard, elle balançait : « “Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit” Eric Brion ex-patron de Equidia #balancetonporc ». Depuis, Sandra Muller a été condamnée puis relaxée après avoir été attaquée en diffamation par Eric Brion (Lire ici). Et Eric Brion a sorti un livre et été invité dans plusieurs médias pour dénoncer les conséquences très dures qu’avait eu ce tweet pour lui.
Caroline Fourest affirme qu’il ne faut pas tout mettre sur le même niveau. Certes ! Mais qui fait des amalgames ? Certaines dénoncent des viols, des abus de pouvoir, des agressions physiques, d’autres dénoncent une beauferie machiste… En l’occurrence, Sandra Muller a rapporté des faits précis sous le hashtag clair #balancetonporc. Si les employeurs d’Eric Brion lui ont tourné le dos, si son entourage a manifesté de l’hostilité, c’est sans aucun doute terrible pour lui. Mais est-ce la faute de #MeToo ? Faut-il que les femmes renoncent à dénoncer ces propos qui portent atteinte à leur dignité et les obligent à se faire discrètes ?
Caroline Fourest conseille aux femmes des stratégies individuelles de riposte pour faire face à ces agressions qui sont moins graves que des viols. Mais une telle démarche n’est pas propice à une évolution sociétale féministe. Apprendre aux filles à se protéger et à se défendre au lieu d’apprendre aux hommes à ne pas les agresser est assez vain d’un point de vue macro-social.
Dénoncer de prétendus excès alimente le discours antiféministe
L’essayiste ne cesse de dire que MeToo est un très beau mouvement qu’il faut à tout prix préserver… Mais en mettant dans un même sac appelé «excès» des accusations fausses qu’il faut assurément combattre et les conséquences des dénonciations pour les agresseurs, elle fragilise ce mouvement.
Et puis dénoncer les prétendus «excès» du féminisme aboutit toujours à le brider. Gisèle Halimi l’avait magistralement démontré. Lire : Hommages à Gisèle Halimi, brevets de féminisme et théorie du complot
Il y a tellement d’autres combats à mener pour faire avancer la cause des femmes ! Au lieu de protéger la réputation des hommes fragilisée par MeToo, peut-être faudrait-il par exemple protéger la réputation des femmes qui dénoncent et ne sont pas crues, sont traitées de menteuses ou de manipulatrices… Protéger les victimes de cyberharcèlement ou de deepfakes par exemple, il y a tant à faire !
3 commentaires
J’approuve complètement ce qu’elle écrit et si on ne veut pas decredibiliser le mouvement metoo nous devons être prudent dans les jugements
La stratégie des anti-féministes a toujours été de faire croire aux femmes victimes d’injustices ou d’agressions qu’elles avaient là un problème personnel, et non pas collectif(voir la militante américaine « anti » Equal Rights Amendmnent, Pyllis Schlafly). Leur demander, comme le fait Me Fourest, d’élaborer des stratégies personnelles de défense revient au même! Cette dame est profondément anti féministe , quoiqu’elle en dise: chaque fois qu’elle parle, c’est pour discréditer les luttes de femmes!
Je suis entièrement d’accord avec ce papier sur Caroline Fourest que j’appréciais il y a une dizaine d’années mais depuis quelques années, elle est devenue neo-reac et sur Meetoo, elle fragilise clairement le mouvement et ses propos foireux vont évidemment être repris par la mouvance masculiniste et autres courants d’extrême droite. Son magazine Franc-Tireur est un torchon neo-reac d’extreme centre qui recycle certaines fake-news d’extreme droite contre la gauche radicale notamment et s’est même fait épingle deux fois pour plagiat!