
Linda Zall dans « Espions pour la planète »
Au service de la CIA, elle a, pendant près de 30 ans, orienté les satellites espions vers la prévention du dérèglement climatique… Dans l’ombre.
Secret défense. Les services de renseignement des Etats-Unis étaient très bien informés sur les dérèglements climatiques depuis la fin des années 70. Au cœur de l’information : Linda Zall, docteure en ingénierie civile et environnementale, sort de l’ombre aujourd’hui grâce à un article du New York Times. Longtemps ses recherches -et sa personne- étaient cachées sous le sceau du secret-défense.
Celle qui fut pendant près de 30 ans à la tête des études sur le dérèglement climatique à l’agence de renseignement des Etats-Unis, la CIA, utilisait les images de satellites puis de satellites espions à la fin de la guerre froide, pour décrire les mutations environnementales de la Terre.
Linda Zall est originaire de la région rurale des Finger Lakes, au Nord de l’Etat de New York. Dans les pas de son père, docteur en science agro-alimentaire, elle sort diplômée d’un doctorat en ingénierie civile et environnementale de l’université de Cornell en 1976. Son mentor le docteur Donald J. Belcher est un pionnier dans l’utilisation de la photographie aérienne au service de l’ingénierie, notamment dans la construction des villes et des maisons. Sous son mentorat, elle participe à un projet visant à évaluer les changements du pergélisol en Alaska. Un sol qui est généralement gelé. Les recherches menées par l’équipe scientifique aboutissent à une conclusion inquiétante : une partie des sols commence à fondre. En 1976, elle est embauchée par la compagnie américaine EarthSat qui exploite les images de satellites de surveillance civile pour prendre des photos de la planète à l’intention des agriculteurs, des géographes et autres spécialistes. Sa carrière semble donc bien lancée.
Mais en y regardant de plus près, quelque chose cloche. Entre 1980 et 2020, son nom n’est mentionné que dans 3 publications. En 1985, aux dernières heures de la Guerre Froide, Linda Zall disparaît des radars et entre au service de la CIA. A son arrivée au sein de l’agence de renseignement, les satellites américains sont principalement utilisés pour surveiller l’activité de Moscou. La docteure contribue alors à l’amélioration de l’analyse des images de reconnaissance et permet de planifier de nouvelles générations de satellites espions.
A la chute de l’Union Soviétique en 1991, la menace principale contre Washington disparaît, et avec elle, l’utilité d’une flotte de satellites au budget colossal. Il est donc question de leur trouver un nouvel usage. Bien sûr, l’idée de les mettre au service de l’environnement ne fait pas l’unanimité. A l’époque, des scientifiques pointent du doigt un danger environnemental colossal : la fonte des glaces en Arctique et Antarctique. De nombreux satellites espions tournent en orbite sur des trajectoires nord-sud qui passent près des pôles de sorte que, lorsque la planète tourne, la grande majorité de la surface de la Terre passe sous leurs capteurs pendant 24 heures. Des images qui n’intéressaient guère les espions de la CIA.
Ce n’est qu’en 1990, à la demande d’Al Gore, futur vice-président, que l’agence de renseignement est appelée à aider le gouvernement sur des questions écologiques. La docteure Zall, qui est alors chargée de cette mission, comprend très rapidement la richesse des ressources qu’elle a en sa possession.
En 1992, Bill Clinton remporte l’élection américaine, et le programme Medea peut voir le jour. Linda Zall en prend la direction. A la tête d’une équipe de 70 scientifiques, elle va pouvoir analyser la tonne de données collectée par les satellites depuis 1960 et fournir une base de référence servant à évaluer le rythme et l’ampleur du changement planétaire. « Medea a été le fruit d’une rencontre miraculeuse. Tout le monde y croyait, mais c’était très fragile. Si l’un des éléments disparaissait, la dynamique s’arrêtait », dit Linda Zall dans le documentaire « Espions pour la planète » sorti en 2017.
A la demande d’Al Gore, elle rédige un rapport hautement confidentiel décrivant ce que la reconnaissance secrète pouvait apporter aux sciences de la Terre. Rapporté par The Associated Press en mai 1992, l’article ne fait aucune mention du Docteure Zall. Pourtant, son travail a donné lieu à des centaines d’articles, d’études et de rapports – certains classés top secret, d’autres, publics, sont repris à l’Académie nationale des sciences, le principal groupe consultatif scientifique du gouvernement fédéral. Jusqu’à six décennies de données de premier ordre sur les changements planétaires en matière de chutes de neige et de blizzards, de glace de mer et de glaciers.
Fin 1992, direction Moscou pour Linda Zall. La CIA est enfin convaincue de l’utilité de ses satellites espions pour préserver la planète. Pour apaiser les tensions avec la Russie, l’administration Clinton engage de nouveaux projets. Les Soviétiques ont amassé d’innombrables données sur la glace arctique. Dans le cadre de cette collaboration, la docteure se rend à plusieurs reprises à Moscou, et sa collaboration est capitale dans l’apaisement des tensions.
En parallèle, Medea permet à la marine de diffuser des informations autrefois secrètes qui ont illuminé l’Espace intérieur, soit les profondeurs sans soleil de l’océan. Fin 1995, une nouvelle carte des fonds marins est dévoilée qui met à nu les fissures profondes de crêtes et de volcans.
Sous la présidence de George W. Bush, sans surprise, le programme est mis en suspens.
Ce n’est qu’en 2008, sous Barack Obama, que le travail reprend. Linda Zall se penche alors sur l’évolution de la Terre et les probables problèmes de sécurité que cette évolution pourrait causer. Et, fin 2009, la CIA créé un centre sur le changement climatique et la sécurité nationale. Sa mission : aider les décideurs politiques américains à mieux comprendre l’impact des inondations, de l’élévation du niveau des mers, des déplacements de population, de l’instabilité des États et de la concurrence accrue pour les ressources naturelles. Encore une fois, les bulletins d’information annonçant le programme ne mentionnent pas la Docteure Zall.
Elle était adulée par ses pairs, le physicien planétaire Michael B. Elroy et professeur à Harvard ne tarit pas d’éloges : « c’était une meneuse extraordinaire. » dit-il dans le New York Times. Mais elle est restée dans l’ombre.
Linda Zall a pris sa retraite en 2013, deux ans plus tard, le programme était clos. Et Donald Trump qui ignore le dérèglement climatique, a tout fait pour qu’il ne puisse plus jamais voir le jour. Ses anciens collaborateurs, membres de Medea, croient en la mise en place d’un programme similaire sous la présidence de Joe Biden.
Le documentaire « Espions pour la planète » sorti en 2017 diffusé sur Public Senat.
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