Pour son nouveau film, la réalisatrice tunisienne a mis en place un dispositif complexe entre documentaire et fiction pour évoquer la vie d’Olfa, une femme dont deux des filles ont disparu.
Cela fait longtemps que les Nouvelles News évoque le nom de Kaouther Ben Hania. Cette réalisatrice tunisienne a été mise en lumière avec son deuxième film « La belle et la meute » en 2017 : l’histoire d’une jeune femme violée qui tente pendant une nuit entière de faire reconnaitre le crime à l’hôpital puis au commissariat. Sous la forme d’un thriller, enfin une cinéaste dénonçait le silence et la corruption recouvrant les violences faites aux femmes en Tunisie. En 2020, elle fait se rencontrer un artiste moderne et un migrant dans « L’homme qui a vendu sa peau » : cette métaphore de la cruauté du capitalisme mondial a été le premier film à représenter la Tunisie aux Oscars. Une nouvelle vague de cinéma tunisien voyage dans le monde entier et y sont présentes de nombreuses réalisatrices.
Pour la première fois, Kaouther Ben Hania a les honneurs de la compétition cannoise avec « Les filles d’Olfa ». Cela faisait 50 ans que la Tunisie n’avait pas eu de film en compétition. Mi documentaire mi fiction, son film est construit autour d’un fait divers réel : en 2016, Olfa, mère de quatre filles, a vu disparaître ses deux aînées, radicalisées. La réalisatrice l’a longtemps filmée avec ses deux filles restées avec elle, envisageant de réaliser un documentaire sur le trio. Mais elle a finalement choisi de créer un dispositif totalement innovant : filmer une fausse préparation de long métrage de fiction, avec deux jeunes actrices professionnelles venues incarner les absentes. La célèbre comédienne Hend Sabri joue Olfa aux côtés de la véritable Olfa et de ses deux filles encore présentes à ses côtés. Ce sont ces deux jeunes filles, Eya et Tayssir, qui ressortent du film : leur humour, leur manière d’évoquer leur vie et de leur éducation avec une distance et une lucidité rare. Selon la cinéaste « ce film est d’abord une réflexion sur la transmission mère-filles des traumas. Olfa a infligé à ses filles certains sévices qu’elle-même avait subis enfant. » Si les deux aînées ont rejoint la Syrie, les deux cadettes font leur révolution d’une toute autre manière : en restant en Tunisie et en parlant face caméra sans peur.
« Les filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania, (France Tunisie 1h50) fiction et documentaire avec Hend Sabri, Nour Karoui, Ichrak Matar, et avec Olfa Hamrouni, Eya et Tayssir Chikhaoui dans leurs propres rôles. Produit par Tanit Films, distribué par Jour2Fête, sortie le 5 juillet 2023