Parmi la centaine de nouveaux mots ajoutés à l’édition 2025 du dictionnaire Le Petit Robert, figure l’« écoféminisme ». Régulièrement brandi par des personnalités politiques, et décrié par d’autres, ce terme reste encore mal compris, tant ses usages sont multiples.

« Courant de pensée qui établit un parallèle entre la domination des hommes sur les femmes et la surexploitation de la nature ». C’est la définition de « l’écoféminisme » élaborée par Le Petit Robert qui publie aujourd’hui son édition 2025, agrémentée de 150 nouveaux mots. Entrer dans le dictionnaire, ce n’est pas anodin. C’est le signe que ce mot caractérise notre société et reflète les débats qui l’animent. Et il est indéniable que l’écoféminisme en fait partie.
Écoféminisme : d’une pensée anarchiste au discours politique
C’est dans les années 70 que l’écoféminisme fait son apparition. En 1974, la philosophe française Françoise d’Eaubonne est l’une des premières à théoriser l’écoféminisme dans son essai Le féminisme ou la mort. « C’est une urgence que de souligner la condamnation à mort, par ce système à l’agonie convulsive, de toute la planète et de son espèce humaine, si le féminisme, en libérant la femme, ne libère pas l’humanité toute entière, à savoir, n’arrache le monde à l’homme d’aujourd’hui pour le transmettre à l’humanité de demain », écrit-elle. Mais ce concept n’émerge pas qu’en Europe. Un an plus tôt, en 1973, en Inde, le mouvement Chipko, composé de villageoises, se forme afin de protester contre la déforestation de la région du Garhwal. Les militantes revendiquent une action écoféministe.
Dans les années 70, le concept s’inscrit alors dans une perspective engagée, pacifiste et anarchiste. Son usage par les partis politiques est récent et constitue une véritable mutation. Aujourd’hui, il est régulièrement cité dans les médias et est revendiqué par diverses personnalités politiques. Sandrine Rousseau en est l’une des figures de proue. En se revendiquant écoféministe, la députée EELV/NUPES a créé de nombreuses polémiques. Signe que ce concept tiraille notre société. Selon la philosophe Jeanne Bugard, autrice de Être écoféministe : théories et pratiques (éd L’Échappé, 2020), « c’est un mot qui peut sembler n’être qu’un néologisme fabriqué à l’emporte-pièce. Il suscite la méfiance d’emblée » comme elle le détaille dans une interview accordée au média Reporterre). Pourquoi ?
Dérive essentialiste et spirituelle
Au-delà de sa récente récupération politique, l’écoféminisme connaît d’autres évolutions, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et ce dès les années 80. Alors que les marches antimilitaristes et antinucléaires se multiplient, les liens entre l’engagement des mouvements féministes et les luttes écologiques se renforcent. Mais l’association entre l’oppression des femmes et celle de la nature connaît alors une dérive essentialiste. Des féministes, en majorité anglo-saxonne, revendiquent une réappropriation de leur corps, de leur esprit ainsi que de l’environnement, notamment à travers des rituels. Le problème de cette vision est qu’elle promeut l’idée d’une nature féminine, douce et portée vers le soin, et d’une personnification de la Nature comme un être féminin. Une partie de la droite américaine se saisit de l’écoféminisme dans cette perspective de naturalisation de « la femme ». Shannon Hayes, autrice du livre Radical Homemakers: Reclaiming Domesticity from a Consumer Culture, est l’une de ses représentantes les plus emblématiques. La femme et l’homme seraient intrinsèquement différents puisque la première serait du côté de la nature, et le second du coté de la culture. Cette homologie, quasi mystique, entre femme et nature n’est pas nouvelle et s’ancre dans certaines théories de la métaphysique grecque. C’est pour cette raison que les féministes universalistes tendent à se détourner de l’écoféminisme. Aujourd’hui, des coachs de toutes sortes tentent même de vendre des programmes afin de renouer avec un prétendu « féminin sacré », sapant ainsi l’aspect anti-capitaliste défendu par Françoise d’Eaubonne.
On l’aura compris, définir l’écoféminisme n’est pas une mince affaire. Ses usages sont pluriels et divergent sur des principes philosophiques fondamentaux. Depuis un demi-siècle, l’écoféminisme est utilisé par différents mouvements, dans différentes régions du monde. Il est donc facile de penser que ce concept désigne tout et n’importe quoi. Grâce à sa concision, la nouvelle définition proposée par le Petit Robert permet d’y voir plus clair. Sans rentrer dans le détails de ses complexités historiques et philosophiques, elle illustre simplement l’idée d’une synthèse entre la dénonciation de la domination masculine et de l’exploitation des ressources naturelles par l’Homme.