Depuis 18 ans, le Prix Artémisia récompense chaque année plusieurs créatrices de bandes dessinées pour lutter contre l’invisibilisation des femmes dans le 9ème art. Une piqûre de rappel annuelle encore nécessaire.
Le Prix Artémisia a atteint sa majorité ! Voilà maintenant 18 ans, depuis 2007, qu’un jury composé d’expert.e.s, mais surtout de passionné.e.s de bande dessinée – Chantal Montellier (cofondatrice avec Jeanne Puchol), Julie Scheibling, Isabelle Beaumenay-Chaland, Patrick Gaumer, Pascal Guichard et Christophe Vilain – se rassemble pour récompenser des albums écrits et/ou dessinés par des femmes.
C’est le 9 janvier – jour anniversaire de la philosophe et militante féministe Simone de Beauvoir -, à l’espace de la Librairie des Femmes, que se déroule la cérémonie de remise des prix. Huit catégories, huit lauréates et huit albums à découvrir. Un événement qui survient quelques semaines avant le prestigieux Festival International de la BD d’Angoulême qui n’a pas toujours brillé par son féminisme. Encore en 2016, aucune femme ne figurait sur la liste des nommés au Grand Prix du FIBD…
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Des pionnières et des héritières
Le Prix Artémisia a à cœur de mettre un coup de projecteur sur la variété de la production des créatrices de BD. Parmi les lauréates, on retrouve des autrices dont c’est la première BD, comme Quitterie Simon. Cette dernière a reçu le Prix Société pour Ce que je sais de Rokia (Futuropolis). Inspirée d’une histoire vraie, la sienne, l’autrice raconte la cohabitation entre Marion et Rokia, une jeune migrante originaire du Libéria qu’elle accueille dans sa maison et sa vie. Un récit d’une grande humanité, le tout sublimé par le coup de crayon de la jeune dessinatrice italienne Francesca Vartuli, dont c’est aussi le premier album.
Le Prix Poésie a été remis à Humaine de Joanna Folivéli (éd Deux Points). L’autrice, déjà récompensée par Artémisia l’an passé pour sa première BD Devenir, s’émeut de cette nouvelle nomination et célèbre un nouveau mode de récit, celui de la « poésie dessinée ».
La cérémonie se poursuit. Une biographie a retenu l’attention du jury : « Simone de Beauvoir : Je veux tout de la vie » de Julia Korbik et Julia Bernhard (Steinkis), récompensée par le Prix Influence. Plusieurs BD avaient mis en image la vie de la célèbre philosophe. Toutefois, celle-ci parvient à capter l’essence de la pensée de l’autrice du Deuxième Sexe (1949).
Le Prix Résilience a été décerné à Victory Parade (Çà et là), de Leela Corman. Un album essentiel « au vu des bruits de bottes que l’on entend partout en Europe », alerte Christophe Vilain, membre du jury.
L’un des albums phare de cette 18ème édition est Garçonnes de Trina Robbins, traduit de l’anglais par Marie-Paule Noël et publié par les éditions Bliss. Publié à titre posthume – l’autrice américaine est décédée en avril 2024 – l’album reçoit le Prix Pionnière. À juste titre. Trina Robbins a infiltré le milieu masculin du comics dès la fin des années 60 et s’est ensuite attelée à un travail d’historienne pour rendre hommage à ses consœurs “oubliées“. C’est l’objet de ce nouvel ouvrage qui met un coup de projecteur sur six autrices avant-gardistes qui ont révolutionné le 9e art dans les années 20.
Une autre pionnière est célébrée ce soir-là : l’autrice de BD jeunesse Nicole Claveloux. En lui décernant le Prix Extraordinaire, le jury s’enthousiasme de la parution de Ce soir c’est cauchemar (Cornélius). Enfin, puisque le Prix Artémisia vise à contrer l’invisibilisation systématique des femmes, le jury rend justice à sa cofondatrice Chantal Montellier avec le Prix Hors concours et Hommage. Cette dernière a publié au mois de décembre Social Fiction (Humanoïdes Associés), une anthologie de ses œuvres politiques et dystopiques : 1996 Again, Wonder City, Shelter Market.
Le clou du spectacle : le Grand Prix ! Comme le Festival International de la BD d’Angoulême, qui s’est longtemps entêté à exclure les femmes de ses sélections, le Prix Artémisia décerne son Grand Prix. Cette année, il revient à l’autrice de BD allemande Anke Feuchtenberger pour son album « La Camarade Coucou » (Futuropolis). Un ouvrage de 450 pages, qui a demandé dix années de travail, dans lequel l’autrice entremêle conte, mythologie et Histoire pour raconter la vie d’un village de la République démocratique allemande (RDA) de 1945 à 1995.
« Ce n’est qu’un combat, le début continue ! »
Alors que les remises de prix s’enchaînent, chaque prise de parole rappelle que la menace de l’invisibilisation pèse encore sur les créatrices de BD. Même si les choses se sont largement améliorées, comme le reconnaît Chantal Montellier, l’existence du Prix Artémisia, dix-huit ans après sa création, révèle la nécessité d’un espace de valorisation non mixte.
Dans son discours d’ouverture, Chantal Montellier, pionnière du dessin politique en France, se remémore la genèse du Prix Artémisia et une époque où les femmes étaient confrontée au boys club de la BD : « Par un hasard malencontreux, je me suis retrouvée à faire du dessin politique dans des quotidiens et des hebdos. J’ai alors pris brusquement conscience qu’il n’y avait pas eu de femme dessinatrice politique engagée avant moi… Et pas beaucoup après. J’étais donc bonne pour essuyer les plâtres, ce que je fis avec beaucoup d’application pendant plusieurs décennies ».
Lors de son discours, Quitterie Simon remercie celles qui l’ont précédée et qui ont dû jouer des coudes pour s’imposer dans le 9ème art. Venue accompagnée de ses consœurs de son collectif informel de créatrices de BD, l’autrice martèle l’importance de ce soutien 100% féminin. Marie-Paule Noël, traductrice et éditrice de l’ouvrage de Trina Robbins, salue le travail de matrimoine essentiel mené par l’autrice américaine. L’éditrice dénonce aussi la violence qu’ont subi, et subissent encore parfois, les autrices, dessinatrices et salariées du milieu de la BD. « Ce n’est qu’un combat, le début continue ! », conclut Chantal Montellier.
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