Avec L’affaire Nevenka, Icíar Bollaín revient sur une histoire qui a défrayé la chronique à la fin des années 90 en Espagne. Ce premier #MeToo espagnol est une leçon de courage d’une femme prête à tout pour sa dignité. Une pionnière !
Dès les premières minutes du film, ils sont prononcés. Trois mots. JE TE CROIS. A l’époque, Nevenka ne les a pourtant pas beaucoup entendus. Certains savaient, d’autres se doutaient mais toutes et tous ont préféré ignorer ce qui se déroulait sous leurs yeux.
En 1999, Nevenka Fernandez, jeune diplômée de 25 ans fait ses premiers pas en tant que conseillère municipale à Ponferrada, commune du nord-ouest de l’Espagne. Enthousiaste et investie dans son travail auprès du maire Ismael Álvarez, son quotidien devient très rapidement un enfer. Harcelée sexuellement, manipulée et humiliée par le maire, elle se retrouve rapidement isolée et ne peut compter que sur elle-même. Pour s’en sortir, une solution : dénoncer ces agissements. Mais Ismael Álvarez est un homme puissant, charmant et très apprécié de ses concitoyen·nes. « Quand elle s’est opposée à lui, elle s’est retrouvée isolée de son propre groupe et de sa famille, ce qui ne l’a pas empêchée de poursuivre son combat. » raconte Icíar Bollaín.
Dans le film, les rouages du harcèlement sont incroyablement bien mis en scène, ce qui nous permet de « vivre » avec elle ce harcèlement. La cinéaste retranscrit très bien les différentes étapes qui accompagnent cette emprise psychologique et la peur qui grandit peu à peu chez Nevenka, magistralement interprétée par Mireia Oriol. La réalisatrice espagnole confie que « la fiction permettait de vivre l’histoire avec Nevenka, de ressentir sa terreur et son angoisse, à mesure qu’elle s’enfonce dans l’abus et qu’elle s’en libère. Je voulais raconter en quoi consiste cet abus, afin qu’on le comprenne et qu’on le vive avec elle : la claustrophobie, le sentiment qu’il n’y a pas d’échappatoire ».
Malgré les réticences et la crainte de son entourage, elle finit par déposer plainte. Pour la première fois en Espagne, un homme politique est accusé de harcèlement sexuel. La notoriété et le fait que cet homme soit populaire n’a pas aidé. Comme souvent, les agresseurs présentent deux facettes et publiquement, Ismael Álvarez était très apprécié. Dans le long métrage, l’acteur Urko Olazabal alterne parfaitement ces deux visages, passant de l’un à l’autre avec un naturel incroyable.
Nevenka Fernández s’est alors retrouvée extrêmement seule, confrontée aux médias qui n’ont eu de cesse de remettre en question ses accusations. Icíar Bollaín se souvient que « dans les années 2000, [le traitement médiatique] s’est avéré aussi intéressant que terrible. […] Nevenka n’était pas bien perçue dans les médias. Beaucoup de méfiance l’entourait. On la présentait comme une jeune femme ambitieuse et probablement affabulatrice, ce qui ne lui a pas attiré la sympathie du public. Elle a gagné son procès, mais pas celui de l’opinion publique« .
Un film à voir absolument pour sa réalisation et interprétation mais aussi pour comprendre le mécanisme du harcèlement et ses conséquences dévastatrices tant sur le plan physique que psychologique. Si les choses ont évolué, notamment du point de vue sociétal où la parole des femmes est mieux accueillie, beaucoup de réflexions et faits présents dans le film résonnent encore de nos jours. Il est toujours difficile de parler mais surtout d’être crue, surtout quand les hommes incriminés sont célèbres… (Lire notre dossier #MeToo).
L’affaire Nevenka de Icíar Bollaín, drame (1H57), distribué par Epicentre Films. Avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Lucía Veiga, Carlos Serrano. En salles le 6 novembre 2024.