En salles depuis début juillet, « Les filles d’Olfa » explore l’éducation des femmes en Tunisie sur deux générations. Un puissant laboratoire thérapeutique qui sonde la transmission de la violence.
La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a été sacrée par l’« œil d’or », prix du meilleur documentaire au dernier festival de Cannes, pour son nouveau film « Les filles d’Olfa ». Cette récompense met en lumière un film hybride passionnant qui fait se côtoyer des actrices avec une mère et ses filles, sans pour autant emprunter les chemins de la fiction. Au départ, un fait divers de 2016 : les médias tunisiens se sont intéressés à Olfa, mère de quatre filles, qui a vu disparaître ses deux aînées, parties rejoindre Daech en Libye (« dévorées par le loup » comme le résume l’introduction). La réalisatrice a longtemps filmé Olfa avec ses deux filles restées avec elle, envisageant de réaliser un documentaire. Mais pour mieux libérer la parole de ce trio, la cinéaste a convoqué deux jeunes actrices professionnelles pour incarner les sœurs absentes ainsi que la célèbre comédienne Hend Sabri pour jouer Olfa aux côtés de la véritable mère endeuillée. Ce dispositif complexe devient vite limpide et permet, grâce à une thérapie collective filmée, de comprendre comment deux jeunes filles peuvent croire que leur liberté passe par le port du Hijab et la pratique de la religion sous sa forme la plus extrêmiste. La vérité qui émerge est celle de la transmission de la violence et de la peur de la sexualité et des hommes. Olfa a été élevée dans une famille de filles, sans père, et après un mariage forcé, s’est séparée à son tour du père de ses filles : la peur est celle de l’homme en général. Selon la cinéaste « ce film est d’abord une réflexion sur la transmission mère-filles des traumas. Olfa a infligé à ses filles certains sévices qu’elle-même avait subis enfant. C’est une forme rétrograde du patriarcat que les femmes doivent intégrer pour survivre. » La véritable Olfa, qui comprend au fur et à mesure du tournage ses contradictions et sa malédiction, le résume à sa façon : « parfois une chatte a tellement peur pour ses petits qu’elle les mange ».
« Les filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania, France Tunisie 1h50 fiction et documentaire avec Hend Sabri, Nour Karoui, Ichrak Matar, Madj Mastoura et avec Olfa Hamrouni, Eya et Tayssir Chikhaoui dans leurs propres rôles. Produit par Tanit Films, distribué par Jour2Fête, sortie le 5 juillet 2023