Deux Cambodgiennes leaders de la contestation contre les expulsions forcées ont été condamnées, pour d’autres faits. Des ONG dénoncent une instrumentalisation de la justice.
Yorm Bopha a été condamnée, jeudi 27 décembre, à trois ans de prison pour « violences intentionnelles ». La veille, Tim Sakmony a été reconnue coupable de fraude et condamnée à de la prison avec sursis.
Ces deux femmes vivant à Phnom Penh, la capitale du Cambodge, « ont joué un rôle prépondérant dans le mouvement de protestation contre les expulsions forcées des habitants de leurs quartiers respectifs » souligne Amnesty International qui les considère comme des prisonnières d’opinion. Les autorités ont « retenu des charges sans fondement à l’encontre de ces femmes ». Yorm Bopha, 29 ans, était accusée d’avoir, avec son mari, agressé un voleur. Tim Sakmony, grand-mère de 65 ans, d’avoir menti pour une demande de relogement au nom de son fils handicapé. Elle aura passé 113 jours en détention provisoire.
Pour Amnesty International, les deux femmes, qui nient les faits qui leur sont reprochés, ont en fait été punies « parce qu’elles ont joué un rôle de chef de file en prônant pacifiquement le respect du droit à un logement convenable ». L’ONG explique que Yorm Bopha a dénoncé ouvertement la détention de 13 autres militantes des environs du lac Boeung Kak, condamnées en mai 2012 à des peines allant jusqu’à deux ans et demi d’emprisonnement. Depuis 2007, des milliers de personnes ont été expulsées de force de Boeung Kak. Tim Sakmony, quant à elle, est l’une des représentantes des 106 familles qui vivent sous des tentes à proximité du site de Borei Keila. En janvier 2012, plus de 300 familles avaient été expulsées de force de ce quartier, qui a été démoli, dans le centre de Phnom Penh (1).
Pour Amnesty International, ces deux affaires révèlent « l’état désastreux du système judiciaire cambodgien ». S’y ajoute un autre verdict rendu ce vendredi, à l’issue d’une « enquête gravement défectueuse », selon l’ONG. Deux hommes, Born Samnang et Sok Sam Oeun, ont écopé en appel de 20 ans de prison pour le meurtre en 2004 du leader syndicaliste Chea Vichea. Un procès « grossièrement injuste », renchérit une autre ONG, Human Rights Watch. Après cette double condamnation et celles de Yorm Bopha et Tim Sakmony, le responsable en Asie de Human Rights Watch, Brad Adams, accuse : « Le gouvernement cambodgien ne craint pas d’utiliser les tribunaux comme une arme d’oppression. Au lieu de protéger les droits, la justice cambodgienne sert à faire taire la contestation ».
Photo : Yorm Bopha. © Jenny Holligan
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A noter que dans son projet Women are Heroes, le photographe JR rend hommage, entre autres, aux militantes cambodgiennes qui luttent contre les expulsions forcées.
Sur la lutte des habitants de Boeung Kak, voir aussi (en anglais) le site « Free the 15 »