Dans « Inchallah un fils » Amjad Al Rasheed dénonce les injustices auxquelles sont confrontées les femmes dans une société patriarcale et misogyne. Un premier long métrage réussi et puissant pour le réalisateur jordanien, déjà primé dans de nombreux festivals.
Quand un matin son mari ne se réveille pas, c’est toute la vie de Nawa qui se retrouve chamboulée dans un pays où « perdre son mari, c’est perdre toute sa vie », comme on peut l’entendre dans le film. Difficulté renforcée par le fait que Nawa n’ait pas de fils mais une fille. Car de nos jours, en Jordanie, si le couple n’a pas de fils, la part de l’héritage revient à la famille du mari et non à son épouse (et sa ou ses filles).
C’est d’ailleurs à cet événement qu’a été confronté le réalisateur. Dans un entretien avec l’AFCAE, il explique : « Inchallah un fils s’inspire de la lutte d’une parente proche, qui a consacré toute sa vie à servir sa famille […] A la mort de son mari, conformément aux lois en vigueur en matière d’héritage, ses biens auraient dû être répartis entre les plus proches parents du défunt, car le couple n’avait que des filles. Toutefois les frères et soeurs de son mari ont renoncé à leur part pour que la veuve et ses filles puissent garder leur maison, en lui disant « Nous te permettons de vivre chez toi » ». C’est cette phrase qui a interpellé le réalisateur : « Que ce serait-il passé dans le cas contraire ? Qu’aurait-elle fait s’ils avaient exigé une part de sa maison comme le prévoit la loi ? » Ces questions marquent le début du combat de la protagoniste pour tenter de faire valoir ses droits et conserver coûte que coûte la garde de sa fille.
Nawal n’a guère le temps de pleurer son mari. Elle devra affronter son beau-frère, prêt à tout pour récupérer sa part d’héritage. Mais elle résiste et affirme qu’elle ne se laissera pas faire et décide de conserver le pick-up de son mari alors qu’elle ne sait pas encore conduire. Au fur et à mesure de l’avancée du film, on comprend mieux pourquoi : ce pick-up représente finalement un des seuls espaces de liberté qui lui reste. Peu importe la bonne foi de Nawal qui assure participer avec son salaire au paiement de l’appartement, qui a vendu tous ses bijoux pour le prêt, sa parole ne vaut rien. De bonne foi, elle délivre un document qui aurait pu l’aider mais c’était sans compter sur le fait que son mari ait « oublié » de le signer… Commence alors une descente aux enfers pour Nawal, complètement étouffée par le poids des traditions qui ne laissent que très peu de libertés aux femmes.
Cette sensation d’étouffement, Amjad Al Rasheed la transcrit très bien dans les trois espaces principaux du films : l’appartement de Nawal, l’espace public et la maison où elle travaille. Le réalisateur explique qu’il a voulu « traiter ces décors comme des prisons, pour refléter la véritable situation sociale des femmes ». Son appartement n’est même plus un espace refuge, son frère et beau-frère s’accaparent le lieu, ne lui laissant que très peu d’espace. Cette oppression pesante se ressent même jusque dans le fait de devoir remettre son voile à la hâte dès que l’un d’entre eux sonne à la porte.
Dans l’espace public, comme toute femme, elle n’échappe pas au harcèlement de rue, au regard des autres et à pression sociale. Elle ne peut faire confiance à personne, pas même à son frère qui ne veut pas de vague et préfère qu’elle se plie aux exigences de son beau-frère plutôt que de la soutenir. La riche maison où elle travaille n’est guère plus sécurisante. D’emblée, la femme qui l’emploie montre que son travail ne tient qu’à un fil et qu’elle n’a pas le droit à l’erreur. La phrase « J’ai eu peur que tu me demandes plus de jours de congés » suite au décès de son mari donne le ton. Et dans cette maison, bien que différente de celle de Nawal, la situation des femmes n’est guère plus enviable, comme le montrera au fur et à mesure le réalisateur. Les personnages secondaires jouent en cela un rôle important qui renforce la complexité des liens sociaux et l’oppression que subissent les femmes dans ce pays.
Le combat de Nawal, remarquablement interprétée par l’actrice Mouna Hawa, plusieurs fois récompensée pour ce rôle, est celui de toutes ces femmes anonymes qui luttent au quotidien pour survivre dans un monde patriarcal. « Inchallah un fils » est un film fort et saisissant qui nous entraîne dans un monde fait par et pour les hommes et où les femmes doivent se contenter de suivre les règles dictées par ces derniers.
Récompenses pour « Inchallah un fils »
Grand Rail d’Or du long métrage au Festival de Cannes 2023
Prix de la Meilleure actrice et Prix du Jury au Rotterdam Arab Film Festival
Prix du Grand Jury et le Prix du Jury des Femmes au Festival Paysages de cinéastes de Châtenay-Malabry
Prix de la meilleure performance aux Asian Pacific Screen Awards
Prix de la Meilleure actrice au Festival de Thessalonique
Prix du Meilleur premier film au Festival Camerimage Pologne
Prix de la Meilleure actrice au Red Sea Festival
Prix du Jury au Baghdad International Film Festival
« Inchallah un fils » de Amjad Al Rasheed, (Jordanie, 1h53) avec Mouna Hawa, Seleena Rababah, Haitham Omari et Yumna Marwan. Sorti en salles le 6 mars 2024.