A l’image de plusieurs régions françaises, la capitale finlandaise veut couper les ponts avec les sociétés qui pratiquent l’évasion fiscale. Le mouvement prend de l’ampleur.
La ville d’Helsinki vient d’ajouter sa voix à celles, de plus en plus nombreuses, qui dénoncent l’évasion fiscale des entreprises. La semaine dernière, le conseil municipal de la capitale finlandaise a adopté des règles plus sévères à l’encontre des entreprises liées à des paradis fiscaux.
La résolution, adoptée par 78 voix contre 4, souligne que l’évasion fiscale limite les capacités des municipalités à fournir des services sociaux. Le conseil municipal note également que les paradis fiscaux privent les pays en développement de revenus vitaux et les empêchent de profiter pleinement de la mondialisation.
Protéger l’État providence
Cette décision signifie qu’Helsinki ne signera plus de marché public avec une compagnie dont les opérations sont établies dans des paradis fiscaux. Avec un budget de 4 milliards d’euros, la capitale finlandaise est la plus grande consommatrice de biens et services du pays. Elle demandera désormais à ses éventuels contractants d’indiquer où ils opèrent.
Les taxes des entreprises sont la première source de revenus des municipalités finlandaises. « Les sociétés qui opèrent dans les paradis fiscaux représentent une menace mortelle pour l’État-providence en Finlande comme dans tous les pays, notamment les pays développés », souligne l’auteur de la résolution, Thomas Wallgren dans un entretien à IPS. « De plus, ils déséquilibrent la compétition entre entreprises, menaçant ainsi la survie de petites et moyennes entreprises nationales », poursuit ce conseiller municipal social-démocrate qui mène la charge contre les paradis fiscaux.
Thomas Wallgren cite l’exemple des Brasseries Accra au Ghana, propriété du sud-africain SAB Miller. Depuis 5 ans, cette multinationale multimilliardaire n’a payé aucune taxe au gouvernement ghanéen, alors que les vendeurs de bouteilles vides dans la rue s’acquittent, eux d’une taxe municipale et de la TVA.
La mise en œuvre de la résolution d’Helsinki risque encore de se confronter à des obstacles, selon des experts juridiques. Car elle se heurte aux règles de l’Union européenne, selon lesquelles une société ne peut pas se voir privée de contrats publics sur le fondement de sa domiciliation dans des paradis fiscaux.
Mouvement global
Mais le sujet est venu occuper le premier plan du débat politique en Finlande, où des élections municipales se dérouleront dans trois semaines. La ministre des Finances Jutta Urpilainen – du parti Social Démocrate – s’est emparée du sujet jeudi lors d’une discussion parlementaire. Elle y a soutenu la proposition des municipalités de boycotter les sociétés opérant dans des paradis fiscaux.
Car l’initiative d’Helsinki n’est pas isolée. Elle s’inscrit au contraire dans un mouvement global. « Le principe de cette campagne est de mettre encore davantage de pression sur les autorités nationales, sur les régulateurs du marché et sur l’Union européenne, afin d’obtenir des obligations plus rigoureuses pour les multinationales », souligne Matti Kohonen, chercheur du Tax Justice Network, Réseau mondial pour la justice fiscale (sa plateforme française est ici).
Malgré les obstacles légaux qui menacent sa mise en œuvre, la décision du conseil municipal d’Helsinki a déjà encouragé plusieurs autres villes finlandaises à agir de même, observe Thomas Wallgren selon qui cette initiative se répand « comme une traînée de poudre ».
D’autres initiatives similaires ont récemment été prises ailleurs en Europe. Comme dans les municipalités de Malmö et Kalmar, en Suède, ou celle d’Ulstein en Norvège, qui cherchent également à contrôler les activités de sociétés pratiquant l’évasion fiscale.
En France, 18 régions sur 22 se sont déjà engagées par des résolutions contre les paradis fiscaux. Dix d’entre elles – dont la plus riche, l’Île-de-France – demandent désormais un reporting pays par pays aux banques avec lesquelles elles travaillent.
Opacité
« La somme d’argent qui passe par les paradis fiscaux reste une grande interrogation », explique à IPS Matti Kohonen. « Nous vivons dans un monde où le secret financier est la règle. Nous ne savons pas où est l’argent, et c’est un vrai problème ».
Selon ses estimations, la somme des transaction financières illicites ou impliquant une forme de criminalité ou d’évasion fiscale est de l’ordre de 1 000 milliards de dollars par an. Sur ces sommes, le revenu perdu par les collectivités est estimé à 100 milliards de dollars – soit la somme nécessaire, selon les Nations Unies, pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement.
Le Tax Justice Network estime par ailleurs que 21 à 36 mille milliards de dollars, soit de deux à trois fois le PIB des États-Unis, sont cachés dans des paradis fiscaux.
D’après Matti Kohonen, une autre méthode classique pour éviter l’imposition est le recours à la « fixation des prix de transfert », un mécanisme de fixation des prix pour la vente de biens ou de services entre différents départements d’une même société, ou entre une société et sa filiale. Ce qui permet de s’appuyer sur des entités domiciliées dans des paradis fiscaux.
Selon une estimation effectuée voilà deux ans par l’OCDE, qui fixe les règles d’imposition pour la « fixation des prix de transfert », cette pratique concerne 70% du commerce mondial.
« Il faut des règles multilatérales »
Cette année, l’administration fiscale finlandaise a calculé que le gouvernement perd 320 millions d’euros chaque année à cause des manipulations de prix résultant de cette pratique. Pour Matti Kohonen, ce n’est même là que la partie visible de l’iceberg, puisque les chiffres des sociétés installées dans des paradis fiscaux restent secrets.
Plutôt que des règles décidées par l’OCDE, le chercheur du Tax Justice Network juge qu’il serait bien plus démocratique que ce soit l’ONU qui détermine ces réglementations : « C’est scandaleux que nous ayons des lois pour régir le commerce mondial, mais aucune dans le domaine de l’imposition… à part pour ce lobby des pays riches qu’est l’OCDE. Il faut des règles multilatérales sur la façon de taxer les multinationales ».
Matti Kohonen compare le mouvement actuel en Finlande à la campagne contre la dette de 1990, qui avait poussé les pays riches à réduire la dette des pays pauvres. « Une fois que des millions de personnes de par le monde s’y intéressent, les politiciens ne peuvent plus ignorer le problème ».
© 2012 IPS-Inter Press Service
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Photo © Sunset Parkerpix. Manifestation du mouvement « Occupy Wall Street », septembre 2012