Alain Finkielkraut a été congédié par LCI après ses propos ambigus sur l’inceste et la pédocriminalité. Mais la culture patriarcale n’a pas dit son dernier mot dans les médias.
Alain Finkielkraut, chroniqueur régulier sur LCI s’est vu remercier par la chaîne mardi soir après s’être exprimé sur l’affaire Olivier Duhamel, accusé par Camille Kouchner d’avoir violé son frère jumeau dans les années 90, lorsqu’il était adolescent. Ces accusations ont conduit le parquet de Paris à ouvrir une enquête pour « viols et agressions sexuelles sur un mineur de 15 ans par personne ayant autorité », le 5 janvier dernier.
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Parce qu’il a d’abord condamné très clairement les faits de pédocrimiminalité dont Olivier Duhamel est accusé – « très graves », « crime abominable » – le philosophe ne comprend pas son éviction. Il oublie qu’il ne s’est pas contenté de condamner ces actes, il a aussi essayé de les expliquer en fondant son propos sur la notion de consentement, soit l’argument des défenseurs de crimes sexuels. Sur le plateau de David Pujadas, le philosophe questionne : « Y a-t-il eu consentement ? A quel âge ça a commencé ? Y a-t-il eu ou non une forme de réciprocité ? ». Après que le présentateur lui a rappelé l’âge de la victime, un mineur de 15 ans, Finkielkraut s’insurge «Et alors ? D’abord on parle d’un adolescent, ce n’est pas la même chose. »
Et c’est bien le problème ! En droit français, lorsqu’un adulte a des relations sexuelles avec un enfant, ce n’est toujours pas considéré comme un viol. Malgré les appels des féministes et des défenseur.es des droits des enfants pour qu’une présomption de contrainte soit fixée dans la loi.
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Alors les normes sociales sont fixées par ceux qui font le plus de bruit dans les médias. Ils qualifient les faits, disqualifient les personnes comme bon leur semble. Alain Finkielkraut est un champion. Il y a quelques mois, il disait à propos de la victime de Roman Polanski, une enfant de 13 ans, qu’« elle n’était pas une fillette, une petite fille, une enfant. » En revanche, il trouvait Greta Thunberg, âgée de 16 ans, beaucoup trop jeune pour donner son avis sur le dérèglement climatique.
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Son éviction de la chaîne d’info LCI ne l’empêche pas de s’auto-proclamer victime. Le Parisien lui a donné la parole et il évoque « une éviction injuste, d’une incroyable goujaterie », « LCI me bâillonne. Je suis sous le choc. On ne vire pas les gens pour ça. Comme si j’avais commis un délit irrémédiable. Mais qu’on écoute mes propos dans leur intégralité ! Et si on les trouve toujours ambigus, qu’on me demande de m’expliquer à l’antenne”. “À aucun moment, je n’ai été complaisant avec Olivier Duhamel. Aucun ! J’essayais juste d’avoir une pensée subtile. Et je ne changerais rien aujourd’hui. Nous vivons dans un monde de délire collectif et j’en suis la victime ». Lui qui n’a pas de mots assez dur pour notre société « victimaire » !… On nage en pleine inversion de culpabilité appelée aussi culture du viol…
Mais d’autres paroles parviennent à se faire entendre. Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles s’est insurgé sur Twitter : « Dans quel monde vivez-vous, Alain Finkielkraut ? Parlez-vous vraiment du consentement entre un adolescent et un membre de sa famille ? Vous entretenez l’omerta et le sentiment de culpabilité de l’enfant en suggérant qu’une forme de réciprocité est possible ». Ce à quoi beaucoup d’internautes ont répondu à ce membre du gouvernement qu’il devrait s’atteler à inscrire la présomption de contrainte dans la loi et en finir avec l’impunité des pédocriminels.
Dans une Tribune du journal Le Monde, la psychiatre Muriel Salmona le rappelle : « L’impunité des pédocriminels est quasi totale : moins de 10 % des viols font l’objet de plaintes, dont 74 % classées sans suite ; 50 % des plaintes instruites sont déqualifiées en agressions sexuelles ou en atteintes sexuelles (impliquant que l’enfant était consentant), et seules 10 % des plaintes pour viol sont jugées comme telles. » Pour elle, la publication du livre de Camille Kouchner, à l’origine des accusations contre Olivier Duhamel, pourrait marquer un tournant. « Sous couvert de liberté sexuelle, d’amour, de tendresse, d’éducation, d’élitisme, les pires atteintes à la dignité et à l’intégrité physique et mentale ont pu être tolérées. La famille, espace perçu comme lieu de protection au-dessus de tout soupçon, a pu devenir une zone de non-droit où il est possible de détruire, instrumentaliser et exploiter sexuellement un enfant en toute impunité. »
Une perception liée aux discours médiatiques qui n’offrent pas beaucoup de tribunes à celles et ceux qui défendent les mêmes positions que Muriel Salmona. L’éviction de Finkielkraut marque une pause du patriarcat triomphant dans les médias, mais il reste encore du chemin à parcourir.
L’homme qui tient des discours plus qu’ambigus va continuer. A France Culture, c’est silence radio. L’antenne n’a publié aucune réaction face aux propos de son chroniqueur et il semblerait qu’il garde son temps d’antenne historique dans l’émission qu’il anime depuis 1985.
Parmi les soutiens du philosophe, chez Causeur, grand ami du patriarcat, deux articles viennent à la rescousse du philosophe. Peggy Sastre, qui fut à l’origine d’une tribune confondant agressions sexuelles et drague (voir ici) tweetait le 12 janvier : « Que vous aimiez ou non #Finkielkraut n’est pas la question. Ce n’est même pas non plus un problème de liberté d’expression. On est face à la création d’une vérité alternative qui fait qu’un homme est châtié alors qu’il n’a en réalité rien fait. Ça devrait TOUS vous préoccuper. » Plus que l’impunité des auteurs de crimes sexuels ?
Bataille de tweets
https://twitter.com/BalanceTonMedia/status/1348719034439774219
https://twitter.com/cyvalentin/status/1348970323312594944