Avec son spectacle Contes à rebours, Typhaine D. revisite les contes de notre enfance et les décortique sous un angle féministe. Humour et sororité garantis !
Samedi 4 février, les « sorcières » étaient à l’honneur au Café de la Gare de Paris avec une représentation inédite et exceptionnelle du spectacle Contes à Rebours de Typhaine D., l’artiste qui écrit tous ses spectacles à « la féminine universelle » et met des « e » partout (lire : TYPHAINE D, L’ACTUALITÉ À LA « FÉMININE UNIVERSELLE » SUR SCÈNE).
En toute sororité, la comédienne avait convié la peintresse et conteuse Amande Art à la rejoindre sur scène afin de mélanger leurs deux univers : « Comme le thème des sorcières représente un pan important du travail d’Amande Art et que j’ai moi aussi toute une partie de mes personnages qui parlent des sorcières, cela m’a semblé comme une évidence de croiser nos travaux, nos contes et la matrimoine .»
Venue spécialement des Ardennes pour l’occasion, Amande Art avait décoré l’accueil et la scène du café-théâtre de ses magnifiques portraits de femmes accusées de sorcellerie. Une belle exposition visible avant et après la représentation. Typhaine D. avait vraiment à coeur de faire découvrir son travail : « C’est une façon de s’entraider, de faire connaître nos travaux et de montrer en action ce que c’est la sororité et, quand on a la possibilité de tendre la main, de permettre à une femme de porter son art un peu plus loin ».
Déboulant sur scène en Blanche-Neige chantonnant la célèbre chanson “Un jour mon prince viendra…”, Typhaine D. s’arrête d’un coup et plante le décor en s’écriant : « C’est bien là le problème ! » Et c’est parti ! Avec une énergie débordante et un humour décapant, elle nous raconte l’histoire de cette jeune fille au prénom d’un « pléonasme blafard » et décortique tout ce qui ne va pas dans cette histoire. Et on se rend bien vite compte que rien ne va. Du chasseur qu’il faudrait presque remercier pour lui avoir laissée la vie sauve en passant par l’attitude inimaginable d’une petite fille allongée dans un lit, se réveillant entourée de 7 vieux hommes armés de pioches : « Oh mais qu’est-ce que vous êtes mignons ! », au baiser non consenti du prince, tout pose problème. Et quand l’humoriste conclut ce conte en chantant l’hymne des femmes sur l’air de “Un jour mon prince viendra…”, c’est toute la salle qui applaudit !
Puis, c’est au tour d’Amande Art d’entrer en scène pour rendre femmage à celles qu’on appelait « sorcières ». Face à un public très à l’écoute et alternant tour à tour plusieurs voix, la conteuse nous entraîne dans l’histoire de la « dame aux cheveux d’argent » qui connaît les plantes et sait guérir. Et au lieu de reconnaître-là les prémices de la médecine, l’Histoire, ou plutôt les hommes, ont préféré s’en débarrasser et les envoyer au bûcher.
Avant d’enchaîner avec une deuxième histoire d’Amande Art, Typhaine D. revient un moment sur scène avec notamment l’hymne des femmes : « Nous qui sommes sans passé, les femmes, Nous qui n’avons pas d’histoire, Depuis la nuit des temps, les femmes… PAS D’HISTOIRE ?! C’EST CE QU’ON VA VOIR ! »
Aucune guérisseuse ne se ressemble mais « toutes ces femmes ont en commun de vivre libres de la tutelle de l’homme ». C’est avec ces mots qu’Amande Art commence à nous raconter l’histoire d’Ursula, cette guérisseuse rejetée et accusée d’avoir pactisé avec le diable après avoir pourtant sauvé et aidé des femmes de son village. Dans l’est de l’Angleterre, les rumeurs vont bon train au XVIe siècle et Ursula sera arrêtée pour sorcellerie et traînée en procès et « qui dit procès dit d’atroces, de douloureuses, de terribles tortures ». Elle avouera alors tout ce que les bourreaux et juges veulent entendre et sera pendue et brûlée sur la place du village, le 31 octobre 1592.
C’est ensuite vêtue en chaperonne rouge que Typhaine D. revient sur scène pour conclure ce spectacle. Dénonçant le monopole des hommes dans l’espace public et l’impunité des violences commises : « Aujourd’hui, la forêt et les rues de nos villages sont réservés aux grands méchants loups et tout le monde trouve ça normal », Typhaine D. veut créer des « escadronnes de chaperonnes » où la peur va changer de camp. L’hymne des femmes est encore de la partie, repris en choeur par la salle, et elle le crie « Debout ! car ça c’est fini ! ».
Ce spectacle à deux voix s’est terminé par un échange avec le public où Amande Art a pu présenter ses oeuvres, des peintures de femmes accusées de sorcellerie reproduites par l’artiste. Cette dernière a lu de nombreux procès de ces femmes et pour celles dont elle ne savait rien, ce sont des amies féministes qui ont prêté leur visage pour ces portraits. On apprend notamment qu’au XVIe siècle, à Namur, en Belgique, Anne de Chantraine a été accusée de sorcellerie parce qu’elle était rousse. Amande Art explique que « la rousseur faisait référence aux flammes […] et les tâches de rousseur signifiaient qu’elles avaient été voir le diable la nuit ». Quand un des hommes présents dans l’assistance ose demander ce qu’il en était des roux, Typhaine D. rétorque immédiatement : « Mais là, on parle des femmes ! » avant d’être chaleureusement soutenue et applaudie par le public. Quand on sait que les femmes représentent moins de 30% du contenu des médias d’information, on peut peut-être accepter de ne parler que d’elles pendant un spectacle d’1h30…
Répliques cinglantes, jeux de mots, sarcasmes, Typhaine D. est désopilante ! Les mâles dominants et oppresseurs en prennent pour leur grade, de Yann Moix à « Paul au ski » en passant par Eric Dupont-Moretti, elle trouve toujours le petit mot ou la petite phrase qui fait mouche.
C’est donc avec beaucoup de talent et d’humour que Typhaine D. et Amande Art ont croisé leurs deux approches d’artistes féministes sur la question des sorcières et ont rendu femmage à ces « savantes, ces médeciennes » qui ont péri sous les flammes. Pour cette spéciale « soeurcières » de Contes à Rebours, Typhaine D. a invoqué « potions de révolte, résistance contagieuse, magie féministe », autant d’ingrédients nécessaires pour lutter contre ces « inquisiteurs féminicidaires » qui rallument « le génocide des sorcières.»
Et pour continuer cette lutte féministe, Typhaine D. présente son spectacle Contes à Rebours (seule en scène) les samedis à 14h30 (toutes les deux semaines) au Café de la Gare. Nombreuses sont ses personnages et toutes ne peuvent pas être jouées en même temps mais pour vous donner un aperçu, vous pourrez y retrouver des héroïnes telles que Shéhérazade qui traite du harcèlement de rue, La Belle au Bois éveillée, éco-féministe et anti-spéciste ou encore La Petite Sirène qui parle de viol et de mémoire traumatique. Toutes les personnages sont également réunies dans le livre Contes à Rebours.
Quant à son autre spectacle, Pérille Mortelle, où elle revisite les dernières actualités, vous pouvez le découvrir les lundis à 19 heures, toujours au Café de la Gare.