Interview : Lucie Daniel, responsable plaidoyer chez Equipop, était présente à New York lors de la 69e Commission sur le statut des femmes qui s’est tenue à l’ONU du 10 au 21 mars 2025. Elle dresse un bilan des négociations marquées par le retour de l’administration Trump et ses coupes dans l’aide publique au développement.
LNN : Cette 69ème Commission sur le statut des femmes (CSW69) marque les 30 ans de la quatrième conférence mondiale sur les femmes à Pékin en 1995, déterminante pour un programme mondial pour l’égalité des sexes. Quel bilan a été tiré ?
Lucie Daniel – La conférence de Pékin en 1995 a été un tournant majeur pour les droits des femmes et des minorités de genre et pour le combat pour l’égalité au niveau mondial. Il y a 30 ans, les États membres de l’ONU ont utilisé des mots forts pour la première fois : ils ont reconnu que les femmes étaient maîtresses de leur sexualité et ils se sont engagés à fournir des soins post-avortement, y compris dans des contextes où l’avortement est illégal. Trente ans plus tard, on peine à réentendre de tels engagements lors des ententes internationales. La CSW69 a été particulière avec le retour de l’administration Trump, dont c’était le premier rendez-vous onusien. Du côté des féministes, on le redoutait au vu des décisions catastrophiques prises par Donald Trump dès son entrée à la Maison Blanche, comme la suspension de l’aide publique au développement. Résultat : suppression de 80% des programmes, notamment sur la santé sexuelle et reproductive, sur le VIH et les violences basées sur le genre. Les États Unis sont arrivés à l’ONU avec un agenda idéologique réactionnaire et anti-féministe. Les négociations ont été difficiles.
Vous étiez présente lors de la CSW69 pour soutenir l‘Alliance Féministe Francophone. Quelles sont les missions de cette nouvelle initiative ?
LD – Ce n’est pas un hasard si l’Alliance Féministe Francophone a été lancée lors de la Commission sur le statut des femmes à l’ONU. Soutenue et coordonnée par Equipop, l’objectif de cette initiative est clair : accompagner et faciliter la participation d’activistes féministes francophones dans les processus multilatéraux. Plusieurs constats nous ont amenés à la nécessité d’une telle alliance. D’abord, une urgence face au backlash de grande envergure sur les droits des femmes. Depuis une dizaine d’années, on observe une montée des mouvances masculinistes et des gouvernements populistes d’extrême droite qui s’attaquent de front aux droits des femmes. Il y a là, nécessité de résister à ces attaques et d’occuper l’espace, notamment au niveau de l’ONU. Puis, pourquoi une alliance « féministe francophone » ? Avec nos partenaires, nous nous mobilisons notamment en Afrique francophone où les activistes francophones sont confrontés à des barrières spécifiques, notamment la barrière de la langue puisque ce sont des espaces dominés par l’anglais. Puis, nous avons constaté que les associations féministes dans les régions francophones restent sous-financées. Il faut renforcer les solidarités féministes transnationales dans ces régions. Dans ce contexte géopolitique compliqué, l’union fait la force. Lors du lancement à New York, plusieurs activistes féministes ont d’ailleurs témoigné de l’importance de cette alliance et dit qu’elle leur redonnait de l’espoir.

La Commission sur le statut des femmes réunit les États membres de l’ONU et des associations féministes. En tant qu’association, quel était votre rôle lors des négociations ?
LD – Nous ne sommes pas diplomates mais une association. Notre rôle, on le conçoit comme participant à la co-construction des positions françaises. La CSW est une occasion unique pour les activistes féministes de se faire entendre et d’interpeller les gouvernements. L’attention internationale est braquée sur les gouvernements qui doivent rendre des comptes. C’est pour cette raison que les attaques de l’extrême droite en France contre l’aide publique au développement sont graves. Ces aides nous permettent de nous déplacer et d’être présentes lors d’évènements comme la CSW et de jouer notre rôle de contre-pouvoir vis-à-vis des gouvernements conservateurs. Ce n’est pas un hasard si Donald Trump s’attaque aux politiques de solidarité internationale, il ne veut pas de ce contre-pouvoir.
Les négociations ont donné lieu à l’adoption d’une déclaration politique, qui compte 22 points. Lequel vous paraît être une véritable avancée et la promesse d’une amélioration à venir ?
LD – L’une de nos priorités était d’obtenir des engagements financiers des États vis-à-vis des organisations, notamment féministes, de la société civile. La déclaration politique signée exhorte les États à allouer des financements flexibles et durables à la société civile. Le texte le reconnaît même comme un point critique pour atteindre l’égalité des sexes. Dans un contexte où un plusieurs pays, notamment en Europe, coupent drastiquement les budgets alloués à la société civile, c’est un élément important. On sera attentif à ce que cet engagement soit respecté par le gouvernement en France. La déclaration politique affirme aussi l’importance de lutter contre les violences sexistes et sexuelles basées sur le genre, y compris dans les contextes de conflits qui sont souvent un point épineux lors des négociations. C’est assez positif.
À l’inverse, y a-t-il des mesures, qui vous semblaient essentielles, qui ne figurent pas dans la déclaration politique finale ?
LD – Malheureusement oui. Il n’y a aucune mention des droits et de la santé sexuelle et reproductive, pas même dans les termes utilisés il y a trente ans. Pas de mention non plus à l’éducation à la sexualité et la vie affective ou des droits humains des personnes LGBTQIA+. C’est un signal préoccupant. Bien que les féministes se soient battues à la CSW69, avec le soutien de plusieurs diplomates, c’est toujours difficile d’intégrer ces termes dans les textes, et ça va l’être de plus en plus les prochaines années. Dans un espace diplomatique, le langage est primordial. Nos droits existent aussi parce qu’ils sont explicités ou non dans ces textes et ça a une incidence sur les situations nationales. L’enjeu est de voir comment ce rapport de force va évoluer dans les prochaines années dans toutes les instances onusiennes.

Les États ayant participé à la CSW69 sont-ils contraints d’appliquer les recommandations établies lors des négociations ?
LD – La déclaration politique de la Commission sur le statut des femmes n’est pas contraignante dans le sens où il ne s’agit pas d’un traité ou d’une convention comme la Convention d’Istanbul de 2011 contre les violences basées sur le genre, qui obligent les pays qui l’ont ratifiée à remettre régulièrement des rapports liée à leur engagement. Après la CSW69, les États ont publié des explications de positionnements dans lesquels ils peuvent se désolidariser d’une partie du texte. L’explication des positions des États-Unis est un cas d’école : on retrouve l’argumentaire de l’administration Trump qui s’oppose à l’emploi du mot « genre » et qui prétend le faire au nom de la défense des droits des femmes. C’est une rhétorique très trompeuse puisque derrière il y a l’idée d’interdire l’éducation à la sexualité et à la vie affective, de remettre en cause les droits des personnes LGBTQIA+ et de limiter la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ils déclarent même se retirer des objectifs de développement durable. C’est un énorme bouleversement. Les États-Unis balayent d’un revers de la main des années d’efforts dans le multilatéralisme pour lutter contre les inégalités de genre, l’extrême pauvreté et le changement climatique. Cependant, il ne faut pas négliger les instruments onusiens, notamment dans des pays où il est difficile de défendre les droits des femmes ou même d’exister en tant qu’association, qui contribuent à faire bouger un certain nombre de normes au niveau national. C’est tout l’intérêt d’avoir des mouvements féministes financés et rigoureux. Notre rôle en tant que société civile et association féministe est de faire le suivi de ces engagements et de tenir les gouvernement redevables. Il y a un vrai enjeu autour du socle de valeurs communes de la communauté internationale. Plus les associations et des mouvements féministes seront financés, plus les droits des femmes seront protégés sur le long terme.
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