La fondatrice de l’agence Mad&Woman mène, avec ses annonceurs et ses partenaires, un projet publicitaire de transformation de la société. Rencontre.
Vous avez détesté la pub dite « porno chic » ? Vous allez adorer la démarche de Christelle Delarue. La jeune patronne d’agence de 36 ans avait tout pour mener grand train et grande carrière chez les plus beaux noms de la publicité. McCann Erickson, puis TBWA et d’autres, la fille de pub est très tôt devenue directrice générale adjointe. « Mais c’est le mot adjointe qui me revenait le plus souvent à la figure », déplore-t-elle. « Comme toutes les femmes qui occupent ces postes habituellement occupés par des hommes, on me faisait sentir que je ne décidais pas seule. Et si je pouvais faire le café, ça aurait été bien. » Elle n’échappe pas au sexisme ambiant et au harcèlement. Sachant que ces clichés qui s’abattaient sur elle et sur toutes les femmes sont des clichés entretenus par la publicité, elle décide d’arrêter. « Je ne voulais pas entretenir un système de représentation qui met les femmes en infériorité. » Elle voyagera pendant près d’un an pour se ressourcer.
Au retour, elle reprend du service dans la publicité en free lance puis crée son agence, Mad&Woman, en 2012. Une agence féministe ! Le gros mot est lâché. Et le petit milieu de la pub dirigé, comme elle le dit, « par des hommes hétéronormés, blancs, bourgeois », goguenard, de la regarder avec compassion et incrédulité. Aujourd’hui, son agence compte 15 personnes et de beaux clients qui affichent un engouement pour la posture féministe.
Mad&Woman a par exemple transformé l’image de Minelli. La marque de chaussures a renoncé à son égérie, Georgia May Jagger, la « blonde incendiaire » aux poses lascives. Désormais, la signature « Walk with Minelli » veut mettre en scène des héroïnes du quotidien qui mènent une vie indépendante et engagée avec des femmes non normées, imparfaites et bien dans leurs chaussures. Pour Cyrillus, l’agence a déconstruit le stéréotype de la famille bourgeoise qui figeait la marque dans le passé.
La mission n’est pas de tout repos. Mad&Woman retravaille le brief de ses clients et écrit de nouvelles histoires de marques qui cassent les codes sexistes habituels dans la pub. « Cela veut dire que nous devons être présentes et vigilantes à toutes les étapes du processus de création. Nous ne déléguons pas complètement le casting car les prestataires ont des réflexes que nous réfutons. Nous ne voulons pas que les photos soient retouchées. Pas question d’imposer des corps parfaits irréels », insiste Christelle Delarue.
« Tous les discours de marque ont une empreinte sociétale », affirme la publicitaire militante. Ce qu’elle conseille à ses clients va plus loin qu’un simple ripolinage d’image publicitaire. Elle les invite à s’engager dans cette transformation sociétale en remettant en question leur culture d’entreprise pour adopter les valeurs du féminisme et en soutenant des mouvements qui transforment la société via son agence.
Elle héberge et soutient par exemple « Les Glorieuses », une newsletter de chroniques féministes, crée des campagnes pour le mouvement du Collectif 52 , accompagne des ONG montées par des femmes et rassemble les femmes publicitaires sur des questions liées à l’égalité salariale, le leadership au féminin et bien sur le harcèlement dans la pub.
Aujourd’hui, elle se réjouit de voir les professionnels de la communication signer avec le CSA une « charte contre les stéréotypes sexistes dans la publicité ». Les choses avancent en effet, même si une charte n’engage que celui ou celle qui la signe et les dispense de sanctions. « Il faut aller encore plus loin et sanctionner fortement les messages sexistes », affirme Christelle Delarue.
Un de ses prochains combats : l’interdiction de la pub sexiste dans Paris et dans toutes les villes de France. Il y en aura bien d’autres.