Film d’ouverture, propos de Thierry Frémaux, artistes en vedette, médias aveugles… la représentation des femmes et des hommes imposée par les instances de consécration du 7ème art est un festival de clichés. Zoom sur l’écho antiféministe cannois.
Le cinéma n’est pas que du cinéma. Le cinéma, comme « tout », est politique. Il impose des normes et assigne aux femmes et aux hommes des rôles et des places bien différenciées. Et cette année, le Festival de Cannes est un festival de clichés et de messages qui banalisent la violence des hommes, glorifient les femmes quand elles jouent les faire-valoir des hommes et les dénigrent quand elles sortent des sentiers battus.
Et à chaque épisode antiféministe, le délégué général du festival Thierry Frémeaux, l’homme qui influence les instances de consécration du 7ème art en rajoute une couche. (Il est coutumier des sorties antiféministes – cf plus bas « lire aussi… »)
Alors, si Valérie Ganne, la chroniqueuse ciné des Nouvelles News, sur place à Cannes, vous fait découvrir les films de la compétition officielle et, plus souvent, ceux des sélections parallèles, loin de la Croisette, l’écho du festival n’est pas toujours féministe.
Ce festival de clichés sexistes a commencé avant les premières montées de marches avec une lettre de rupture avec le cinéma d’Adèle Haenel publiée dans Télérama très largement commentée. « J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est » écrit l’actrice qui avait quitté la cérémonie des César en 2020, indignée par la énième victoire de Roman Polanski malgré les protestations féministes « pas d’honneur pour les violeurs ». (lire : Cesar : et à la fin, ils triomphèrent)
L’actrice a reçu le soutien des milieux féministes. Plus d’une centaine d’actrices et acteurs ont publié dans Libération une tribune dénonçant « un système qui soutient les agresseurs ». Mais elle a aussi été vivement critiquée et caricaturée. Ariane Ascaride a déclaré dans la Grande Librairie, sur France 5 : « Elle se bat contre un monstre terrible, qui est le monstre du cinéma. Le cinéma, c’est un monstre à plusieurs têtes. Vous en coupez une, il y en a une autre qui repousse. C’est très très très difficile de se battre ».
Les têtes du monstre poussent très vite en effet. La réflexion la plus perfidement sexiste est sans doute venue de Thierry Frémaux lors d’une conférence de presse lundi 15 mai. Il a commencé par dire aux journalistes : « Si vous pensiez vraiment que notre festival célébrait les violeurs, vous ne seriez pas aussi nombreux ici, à m’écouter et à être accrédités » puis : « Adèle Haenel ne pensait certainement pas cela du festival [que c’était un repaire de violeurs] quand elle est venue y présenter ses films…» S’il voulait dénier le droit de dénoncer le système de domination masculine du milieu du cinéma, il ne pouvait pas s’y prendre autrement. Son raisonnement n’est pas très éloigné de la rhétorique sur les actrices bien contentes de coucher avec ces hommes dominants pour avoir des rôles. C’est le système que #MeToo veut faire tomber, ce que le responsable du festival ne veut pas voir !
D’ailleurs, certains de ceux qui osent critiquer ce système sont virés. Le producteur français Marc Missonnier (@marcmissonnier), s’est vu retirer son accréditation à Cannes pour avoir critiqué le festival sur les réseaux sociaux. Il avait signé la lettre de soutien à Adèle Haenel. Le Club des producteurs européens (EPC) écrit dans un communiqué que cette action, « peut être considérée comme une restriction de la liberté d’expression.»
L’homme influent du cinéma joue la même candeur perfide lorsqu’il est interrogé sur son choix de mettre en vedette Johnny Depp en lui offrant la première montée de marche à l’occasion de la projection du film d’ouverture. « Lorsqu’il s’est affiché sur le tapis rouge du festival de Cannes cette semaine, il est apparu clairement que la France faisait plus que tout autre pays pour réhabiliter l’acteur après qu’il a été abandonné par les studios de cinéma américains au cours de deux procès pour violences conjugales » écrit le quotidien anglais The Guardian.
Pour sa défense, Thierry Fremaux passe de médias en médias pour dire qu’il n’était « pas au courant » et « s’en fout un peu ».
Pas au courant d’une série de procès qui ont fait la une de la presse internationale et suscité des avalanches de messages sur les réseaux sociaux de la part de ceux qui veulent faire croire que Depp est sorti « victorieux » face à son ex-femme Amber Heard. En réalité, en 2020, un tribunal britannique a estimé que le journal Sun n’avait pas diffamé Johnny Depp en le qualifiant de «wife–beater», « batteur de femmes ». Selon le tribunal, 12 des 14 agressions signalées par Amber Heard avaient été prouvées (et il est pourtant rare que le tabloïd anglais ne soit pas condamné quand il est attaqué en diffamation !) L’acteur a ensuite poursuivi Amber Heard pour diffamation aux États-Unis à la suite d’un papier du Washington Post. Amber Heard a aussi poursuivi son ex pour diffamation. Il a obtenu 10 millions de dollars de dommages et intérêts et elle 2 millions de dollars. Il est toujours une vedette. Elle se cache pour tenter d’échapper aux attaques et menaces qu’elle reçoit depuis des années. Un excellent documentaire raconte à partir de cette histoire, comment les réseaux masculinistes font taire les victimes de violences machistes. (lire : Comment les masculinistes réduisent les femmes au silence).
Mais en France, même si beaucoup de journaux ont expliqué que Johnny Deep n’a pas été innocenté, l’acteur est chez lui et il a tous les honneurs. Il vient de signer un gros contrat de parfum avec Dior pour 20 millions de dollars et va réaliser un nouveau film avec Pierre Niney.
Autre sujet délicat : la réalisatrice du film, Maïwenn, a soutenu bien d’autres hommes violents. Elle est beaucoup plus appréciée et mise à l’honneur par les médias qu’Adèle Haenel.
Osez le féminisme ! (OLF) dénonce l’inertie du milieu malgré #MeToo « 6 ans après, à rebours de ce mouvement, le cinéma français ne cesse de montrer sa solidarité et sa complaisance envers les hommes accusés de violences, dont la carrière et la réputation restent préservées » écrit l’association dans un communiqué. OLF cite des acteurs comme Gérard Depardieu, mis en examen pour viol et toujours considéré comme un « monstre sacré » du cinéma.
« Pendant que ces hommes travaillent et se soutiennent, ce sont bien les femmes victimes qui osent dénoncer les violences qui prennent le risque de voir leur carrière et leur vie brisées. » dénonce OLF qui appelle au boycott de Cannes.
L’indulgence, voire la glorification des prédateurs par les organisateurs de festivals se retrouvent dans bien des médias. Un article publié dans la Charente libre et remarqué par le « collectif 8 mars Angoulème-Charente » illustre ce qu’écrit OLF. Pour présenter le 76ème festival, l’article cite une flopée d’hommes qui seront sur la croisette et termine l’énumération par : « des hommes et du lourd ! » Avant de citer quelques grandes actrices, le journal écrit « et pour le glamour… ». Johnny Depp est présenté comme « le banni d’Hollywood », Roman Polanski et Woody Allen -qui ont eu tous les honneurs du cinéma jusqu’ici- sont appelés « les réprouvés ». A la fin de l’article, tombe un « puisqu’il faut genrer » manifestement exaspéré, pour dire qu’il y a cette année six réalisatrices dans la sélection. Incorrigibles !
Lire aussi dans Les Nouvelles News
CANNES 2012 : LE SYLLOGISME DU MÉPRIS
CANNES 2014 : LES FEMMES ABSENTES, CE « MARRONNIER »
2015 : LE FESTIVAL DE CANNES VA S’INTERROGER SUR « LES FEMMES ET L’INDUSTRIE DU CINÉMA »
FESTIVAL DE CANNES : TOUJOURS PAS DE SURSAUT POUR LES RÉALISATRICES (2016)
« COMPORTEMENT CORRECT EXIGÉ » AU FESTIVAL DE CANNES (2018), 2018 : FESTIVAL DE CANNES : TOUJOURS PAS MIEUX et RÉALISATRICES : RIEN DE NOUVEAU SOUS LE SOLEIL DE CANNES (2018)
FESTIVAL DE CANNES, TOUJOURS PEU DE FEMMES (2021)
L’ACADÉMIE DES CÉSAR ENFIN DÉMOCRATIQUE ET PARITAIRE (2020) mais DU CINÉ ET DES HOMMES (2021)