Dans Black Box Diaries, un documentaire percutant, la journaliste japonaise Shiori Itō retrace son combat pour faire condamner l’homme qui l’a violée, un puissant patron de presse. Sa prise de parole a amorcé un MeToo au Japon et a permis de faire évoluer la loi sur le viol.

Elle a brisé le silence et le tabou des violences sexuelles. Après avoir été victime de viol en 2015, la journaliste japonaise Shiori Itō mène l’enquête sur son agression et documente tout. Elle dévoile son parcours du combattant dans son documentaire Black Box Diaries.
Bataille judiciaire contre la domination masculine
Les faits remontent à 2015. À la recherche d’un poste de journaliste, Shiori Itō, alors âgée de 25 ans, rencontre Noriyuki Yamaguchi, directeur du bureau de la chaîne Tokyo Broadcasting System (TBS) à Washington. Mais, pendant le dîner, la jeune femme perd peu à peu connaissance. C’est le trou noir pour la journaliste, jusqu’à ce qu’elle se réveille pendant la nuit, l’homme sur elle qui la pénètre, se remémore-t-elle dans son documentaire.
Alors que la parole des victimes est verrouillée dans la société japonaise, où la domination masculine est profondément ancrée, la journaliste décide de porter plainte. Mais, stupeur, la police refuse de recevoir sa plainte. Pas assez de preuve. Et ce, malgré la vidéo de surveillance de l’hôtel qui montre son agresseur sortir la jeune femme presque inconsciente de la voiture, puis la guider dans le hall où elle peine à marcher.
Elle décide de tout documenter, pour se protéger. Chaque rencontre est filmée, chaque appel téléphonique est enregistré et toutes les prises de notes sont précieusement conservées. Cette démarche lui vaut des critiques de ses anciens avocats qui considèrent certains extraits comme propres à la procédure pénale, donc secrets. Mais elle veut tout montrer, tous les vices de ce système qui protège les agresseurs et nie la parole des victimes.
Au fil de son enquête, la journaliste expose les logiques de pouvoirs entremêlées dans son affaire. Son agresseur est un proche du Premier Ministre de l’époque, Shinzō Abe (assassiné en 2022). Si la plainte de Shiori Itō est finalement reçue et que Noriyuki Yamaguchi doit être interpellé à l’aéroport, cet ordre est abandonné à la dernière minute. Pourquoi ? Un enquêteur fournit à la journaliste les éléments qui prouvent que la police a reçu l’ordre de classer l’affaire.
Vers un MeToo japonais
À l’époque où Shiori Itō se bat pour faire reconnaître son agression, seulement 4% des femmes portent plainte pour viol au Japon. Le silence est la règle et les victimes d’agressions sexuelles sont incitées à se taire. Mais la journaliste transgresse l’ordre établi et organise en 2017 une conférence de presse pour rendre son affaire publique. La même année, elle publie un livre : “Black Box”.
Résultat ? Elle est traitée de « menteuse » et de « prostituée ». Shiori Itō reçoit des mails d’insultes, observe qu’un fourgon stationne en bas de chez elle et décide de se procurer un détecteur de micro. Ce climat d’insécurité pousse la journaliste à quitter le Japon. Mais sa bataille judiciaire finit par payer. Elle est le point de départ d’une remise en question du viol dans le pays, et ce, des mois avant que des dizaines de femmes ne révèlent les agressions sexuelles commises par le producteur américain Harvey Weinstein en octobre 2017. Dans le documentaire, Shiori Itō s’enthousiasme de ce « MeToo », à l’époque, émergent.
Une nouvelle juridiction du viol
Suite à la prise de parole publique de Shiori Itō, c’est la juridiction japonaise qui évolue. Grâce à la journaliste, une prise de conscience s’opère et gagne les personnalités politiques qui interpellent le Premier ministre, proche de Noriyuki Yamaguchi, sur cette affaire.
En 2017, la loi sur le viol, inchangée depuis 1907, est modifée pour la première fois depuis 110 ans. La définition du viol est élargie aux pénétrations sexuelles autres que les pénétrations d’un vagin par un pénis. Une décision qui permet aussi aux hommes d’être considérés comme victimes de viol. La condamnation pour viol est aussi revue à la hausse et passe de trois à cinq ans.
Depuis, les prises de parole publiques de victimes de violences sexuelles se sont multipliées. Résultat : en 2023, la notion de consentement est intégrée à la définition juridique du viol. L’ancienne loi considérait qu’il y avait eu un viol seulement en cas de « rapports sexuels forcés », c’est-à-dire un « rapport sexuel ou un acte indécent commis « par la force » et « par l’agression ou l’intimidation », ou en profitant de « l’inconscience ou de l’incapacité de résister » d’une personne ». Désormais, les « rapports sexuels non consensuels » sont inclus dans le texte de loi et l’âge du consentement est passé de 13 à 16 ans.
Huit ans après le début de son combat, Shiori Ito a amorcé une révolution culturelle vis-à-vis des violences sexuelles dans la société japonaise. Mais si Black Box Diaries sort dans les cinémas de dizaines de pays, le film reste banni au Japon. « Le combat continue », comme l’affirme, déterminée, la journaliste lors de l’avant-première de son film à Paris le 8 mars 2025.
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