Un garçon de 13 ans poignarde à mort une de ses camarades. L’intrigue de la série britannique Adolescence questionne la montée des violences masculinistes. Décryptage d’une série glaçante de réalisme avec Stephanie Lamy, autrice de La terreur masculiniste, qui appelle les pouvoirs publics à se saisir du sujet.

Le personnage principal de la série, Jamie, est un adolescent de 13 ans arrêté pour le meurtre d’une camarade de classe. Quel regard posez-vous sur ce personnage ?
Stephanie Lamy – La manière dont le personnage de Jamie relate les discours incels, la mouvance des « célibataires involontaires », est assez fidèle à ce que l’on peut entendre dans les divers milieux radicaux incels. Le personnage, qui n’a que 13 ans, publie des photos de mannequins plus ou moins dénudées sur Instagram et ça correspond bien à la rhétorique incel qui estime que la société leur doit des corps de femmes « génétiquement supérieurs ». La dynamique entre garçons, de Jamie avec ses copains qui lui fournissent le couteau qu’il utilise pour tuer la jeune Katie, montre bien comment un entre soi masculin fait naître un sentiment d’impunité. La série est très réaliste sur ces points et le résultat est glaçant. On ressent même une sympathie pour le petit garçon qu’est Jamie, tout en sachant qu’il a commis un meurtre. Ça crée un sentiment de malaise chez le spectateur.
Seul bémol : je trouve le personnage de Jamie un peu jeune par rapport aux individus qui commettent ces actes de violences dans la réalité. Il commence tout juste à adhérer aux discours de ces milieux radicaux, or la radicalisation est un processus.
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Le très jeune âge du meurtrier questionne l’exposition des jeunes garçons aux discours masculinistes, de plus en plus visibles notamment sur les réseaux sociaux. Est-ce un cas de figure nouveau ou une réalité que l’on a longtemps pas su interpréter et pas voulu voir ?
SL – Le masculinisme n’est pas nouveau et l’endoctrinement des jeunes garçons non plus. En revanche, ce qui est nouveau, c’est l’amplitude prise par les différentes mouvances masculinistes. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de lieux où les jeunes garçons sont en non-mixité et ils retrouvent ces espaces sur les médias sociaux où ces mouvances radicales pullulent. Mais je tiens à alerter sur un point : les médias sociaux ne sont pas les seuls vecteurs de radicalisation ! Depuis la sortie de la série, le débat public tourne essentiellement autour de l’accès des jeunes à internet et des parents qui ne savent pas ce que regardent leurs enfants. C’est dommage. Il faut bien sûr réguler les algorithmes, lutter contre la désinformation fondée sur le genre et modérer les propos sexistes et misogynes mais ça ne sert à rien si l’éducation et la protection des femmes est délaissée, notamment sur le plan financier.
La série a déclenché une prise de conscience du grand public des dangers de ces mouvances. C’est la force de la pop culture qui s’empare enfin de ce sujet. Est-ce qu’Adolescence donne les bonnes clés de compréhension de ce qu’est le masculinisme ?
SL – Je me questionne encore sur cette série et si elle peut être un outil pédagogique. Mais elle a l’avantage d’éviter l’écueil moralisateur et montre une réalité qui dérange et qui questionne. Par exemple, j’ai d’abord été déçue qu’on en apprenne pas davantage sur Katie, la victime. J’ai ensuite réalisé que le but de la série était de subtilement montrer la réalité de ces mouvances, notamment Incel, à savoir : gommer la perspective des filles. En revanche, je mets en garde : l’idéologie Incel, de plus en plus médiatisée, est loin d’être la seule mouvance masculiniste. Dans la série, cette méconnaissance amène même à mé-qualifier Andrew Tate d’incel, alors qu’il fait partie des MGTOW [Men Going Their Own Way], c’est un détail qui m’a fait sourire parce que ces deux mouvances sont très différentes, ne valorisent pas les mêmes modèles et ont leur propre processus de radicalisation. Il y a une méconnaissance persistante de la diversité des haines des femmes.
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La série, qui dénonce les violences des hommes contre les femmes, est applaudie par la presse. Quelques mois avant, les médias encensaient des films comme L’Amour Ouf qui glamourise les relations toxiques. Les médias prennent-ils enfin conscience de leur part de responsabilité dans la propagation du masculinisme ?
SL – Dans la presse quotidienne régionale et nationale, c’est déjà une victoire lorsque le terme de « féminicide » est utilisé et que le récit médiatique ne renverse pas la culpabilité sur la victime. On est loin d’une prise de conscience par les médias. Mais, à l’inverse de certaines fictions qui participent à une propagande sexiste et misogyne, Adolescence est particulièrement réussie puisqu’elle questionne le sexisme et la misogynie du quotidien qui mènent à la radicalisation. L’écho médiatique de la série permettra-t-il de porter ce sujet à l’agenda politique ? Je l’espère et c’est ça le véritable enjeu. C’est aussi l’ambition de mon livre : mettre en place un processus de sécurisation, qui passe aussi par la parole publique notamment politique. Plusieurs personnalités politiques britanniques ont pris la parole après la sortie de la série. Le Premier ministre britannique Keir Starmer l’a même visionnée avec ses enfants et souhaite qu’elle soit diffusée dans les écoles. En France, rien, pour le moment.
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Depuis sa sortie, la série s’accompagne d’une campagne de désinformation…
SL – Je trouve fascinante la façon dont des hommes s’emparent des questions des violences faites aux femmes et de masculinismes pour rejeter la responsabilité sur l’autre. Avec cette série, la violence masculine devient visible, et en plus elle est incarnée par un acteur blanc. Sur X, le compte suprémaciste blanc @LeLapinDuFutur a publié un post qui lie l’intrigue de la série à une autre affaire. Il écrit : « Le tueur d’origine est noir ? Netflix le transforme en blanc ». C’est totalement faux ! Cette campagne de désinformation, qui détourne complètement le propos, a même poussé l’un des auteurs de la série a préciser qu’elle n’est basée sur aucune affaire en particulier mais sur un ensemble de faits puisqu’en Angleterre il y a eu une importante vague d’agressions au couteau de jeunes filles par des jeunes hommes.
La série montre aussi la méconnaissance de ces mouvances et de leurs symboles, comme la fameuse pilule rouge, par la police. Les professionnels sont-ils davantage formés à la particularité d’une action violente fondée sur le genre ?
SL – Ça avance. Mais il faut rappeler que la tuerie d’Isla Vista a eu lieu en 2014, il y a 11 ans. Donc ça n’avance pas assez vite ! Les mouvances masculinistes existent depuis longtemps et leurs méthodes sont identifiées. Dès les années 70-80, les « pères enragés » s’organisent. Dans les années 2005-2007, les « pick up artists« , qui pratiquent une forme de manipulation mentale en complimentant de manière négative les femmes pour les draguer – les harceler, sévissent sur les campus américains. Les milieux masculinistes sont multiples et le danger de la radicalisation ne concerne pas seulement les jeunes mais bien les hommes de tous les âges et de tous les milieux. Il est nécessaire de rappeler que des femmes et des personnes issues des minorités de genre alertent depuis des décennies sur ces problématiques et l’effacement de cette expertise est bien illustré par l’épisode avec l’experte psychologue.
Sans être au centre de l’intrigue, les femmes sont nombreuses dans la série : la victime, sa meilleure amie, la mère du garçon, sa sœur et l’experte psychologue. Que nous racontent ces personnages féminins ?
SL – J’insiste : les femmes sont les premières victimes des mouvances masculinistes. Avant d’être tuée par Jamie, Katie est d’abord victime de revenge porn et les adultes de son entourage n’ont pas su la protéger. Depuis la sortie de la série, on se demande comment protéger les garçons mais il faut aussi s’interroger sur la manière de protéger les filles. Autre élément : la meilleure amie de Katie s’en prend physiquement à un des garçons de l’école. Cette colère n’est pas gratuite, c’est la colère des femmes déçues par l’autorité et les forces de l’ordre. L’amie de la victime n’a pas confiance en la police, en les adultes qui l’entourent et elle est déjà blasée par la réalité de ce qu’elle peut espérer comme protection. Il y a aussi cette scène oppressante où le gardien de prison interrompt sans cesse l’experte psychologue, lui impose son opinion non-expert et la drague alors qu’elle veut juste faire son travail. Il y a plein de détails à relever qui montrent bien comment le sexisme et la misogynie s’expriment au quotidien. C’est le terreau du passage à l’acte.
4 commentaires
Il me semble important de souligner le fait que dans le dernier épisode, le père explique qu’il a voulu accompagner son fils au foot et à la boxe (ce qu’il n’a pas dû faire avec sa fille). Et qu’il a été très déçu par le fait que le garçon était « mauvais » dans ces sports. Quand le garçon s’exprime sur cela, il est conscient d’avoir déçu son père et il exprime de la souffrance. Cela interroge aussi les normes qui s’imposent aux garçons qui doivent être performants dans des sports qui valorisent l’agressivité et la compétition. On peut penser que le fait de n’avoir pas répondu à ces attentes a conduit le garçon à s’enfermer dans sa chambre avec son ordinateur et à trouver une revanche sur les sites masculinistes. Il est sommé par la société de montrer des qualités « masculines » qui ne lui correspondent pas … en agressant cette jeune fille, il exprime aussi cette souffrance/revanche en utilisant la force et l’agressivité qui est attendue d’un « vrai homme ».
Pour moi, cette série mets ainsi l’accent sur cette pression mise sur les homme et les adolescents, qui les incite fortement « montrer leurs muscles » à travers les performances sportives, la compétition, l’agressivité, la force physique. Et qui valorise ainsi la violence comme preuve d’une « masculinité accomplie ». C’est aussi cela qu’il faut changer, et c’est un vrai travail de longue haleine !
Stéphanie Lamy est une idéologue misandre fanatique. Pas très malin de donner la parole à quelqu’un qui déteste inconditionnellement les hommes, tous les hommes. Quant à la série, elle ne représente en aucune façon la situation des rapports entre les sexes dans les collèges ou lycées. Les faits de violence concernent des élèves qui se vengent de profs, ou des conflits de bandes entre elles.
Vous écrivez n’importe quoi ! Stéphanie Lamy fait une analyse pertinente d’un système qui conduit les hommes à devenir violents. Refuser de voir ce système, c’est vouloir le laisser perdurer.
Monsieur Patrick,
Etes vous enseignant ? Etes-vous qualifié et à partir de quelles sources fondez-vous vos affirmations ?