Elle dédie sa carrière, sa vie, à la lutte contre les violences faites aux femmes. Anne Bouillon sort un premier livre édifiant qui lève le voile sur l’articulation de sa pratique d’avocate et son engagement féministe. Simultanément, une bande dessinée plonge dans son quotidien et l’intimité de son cabinet engagé. Zoom sur le parcours de cette avocate d’exception.
Défendre les femmes victimes de violences et refuser d’être l’avocate d’hommes poursuivis pour des violences sexuelles et sexistes, intrafamiliales et conjugales. C’est l’engagement d’Anne Bouillon. « J’ai trouvé ma voie en prêtant ma voix à toutes celles qui en ont besoin. Dans les plis de ma robe se cachent leurs mots et leurs silences. Je dis leurs maux. Je défends leurs droits. Je suis leur avocate, et cela m’honore », revendique-t-elle dans « Affaires de femmes. Une vie à plaider pour elles » (L’Iconoclaste). Aussi critiquée qu’admirée pour ce choix, cette dernière révèle les raisons, les événements fondateurs et les rencontres qui ont déterminé ce choix dans son premier livre qui ouvre une fenêtre sur les rouages de la domination masculine.
Avocate pour la cause des femmes
Avocate depuis près de 25 ans, Anne Bouillon prend conscience, au fil de ces années, de l’ampleur de la domination masculine dans sa vie et dans celle de toutes les femmes. « Je subis des discriminations, des humiliations, des agressions, mais sans faire le lien avec une mécanique globale d’infériorisation des femmes. Je ne perçois pas la dimension systémique de ce que je ne raccroche qu’à des expériences personnelles malheureuses. Cela, je le ferai plus tard, après avoir défendu les femmes », se remémore-t-elle dans son livre. Des femmes harcelées, battues, violées, tuées. Entre chaque plaignante, un fil rouge se tisse : les violences patriarcales. « Lorsqu’elles poussent la porte de mon cabinet, les femmes que j’assiste n’y entrent jamais seules. Elles traînent dans leur sillage des questions relatives à la conjugalité, à l’union et la désunion, à l’argent, au sexe, à la violence et à la parentalité… Chaque situation individuelle, unique, interroge ce que nous sommes collectivement », observe Anne Bouillon.
La parole des victimes, le viol, le consentement, les féminicides, la prescription, les auteurs de violence et la réparation…« Anne Bouillon a écrit ce livre avec des entrées par les mots qui ont fait irruption dans nos vies, nos intimités et nos débats collectifs. Elle les décortique à travers les cas qu’elle a pu plaider en tant qu’avocate et analyse de ce qui se joue pendant une audience au niveau de l’institution judiciaire », précise Charlotte Rotman, son éditrice chez L’Iconoclaste mais également ancienne journaliste et scénariste de la bande dessinée « Les femmes ne meurent pas par hasard » (2024, Steinkis), qui revient sur le combat d’Anne Bouillon.
En France, sur les 213.000 femmes victimes de violences physiques ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint, seules 18% déposent plainte (Rapport « Cadre de vie et sécurité » 2019, ministère de l’Intérieur). Pour redonner foi en un système judiciaire réparateur, l’avocate combat le patriarcat de l’intérieur. « La pratique d’Anne Bouillon est directement héritée de Gisèle Halimi. Elle rend chaque procès, chaque plaidoirie, chaque prétoire, politique. Elle dénonce toujours un système machiste et patriarcal à l’origine de l’affaire qui a conduit à cette audience. Elle dépasse l’histoire individuelle, que l’on pense isolée, pour raconter quelque chose de la société. Elle le montre systématiquement dans les audiences… avec parfois les soupirs de ses collègues », salue son éditrice.
Charlotte Rotman a suivi l’avocate pendant des mois. Lors de ses audiences mais également dans l’intimité de son cabinet 100% féminin et ses rendez-vous avec les plaignantes. Anne Bouillon les reçoit, recueille leur parole, fait attention à ne pas reproduire une posture culpabilisante et tente de les accompagner dans ce processus de réparation. L’avocate lève aussi le voile sur les failles du système judiciaire qui tend à perpétuer les violences patriciales et à en infliger de nouvelles aux victimes. Avec ce livre et cette bande dessinée, elle tend à le réinventer.
Une héroïne ordinaire
Débrouillarde, inventive et déterminée. Voici les mots employés par Charlotte Rotman pour décrire Anne Bouillon. Pendant des années, cette dernière fut critiquée par ses pairs pour son engagement féministe, indissociable pour elle de sa pratique d’avocate. « Avant MeToo, elle était déconsidérée. Elle était la “pasionaria-hystéro“ du Palais de Justice de Nantes », déplore l’éditrice, avant d’ajouter : « Heureusement, la perception qu’on avait d’elle commence à changer. Elle fait ça depuis longtemps et cette épaisseur dans le temps permet de voir qu’elle a persisté, malgré les critiques, pour faire évoluer les mentalités et l’institution ».
Cette détermination et cette volonté de ne pas se laisser faire, font d’elle une parfaite héroïne de bande dessinée. Ces dernières années, plusieurs bandes dessinées ont rendu hommage à des avocates d’exception : « Une farouche liberté » (2022, Steinkis), l’adaptation de l’essai de Gisèle Halimi, ou encore « Jeanne Chauvin, la plaidoirie dans le sang » (2023, Marabout), qui retraçait la trajectoire de la première femme à plaider en France en 1901. « Anne Bouillon a une énergie impressionnante. C’est quelqu’un qui est toujours en mouvement pour faire évoluer les choses. Dans la BD, je voulais que ça se voit, donc elle est souvent à vélo, elle est pressée, elle veut que ça avance, admire Charlotte Rotman, avant de nuancer : Je ne voulais pas non plus en faire une super héroïne. Comme tout le monde, elle a ses fragilités et ses faiblesses. Je ne veux pas qu’on soit toutes obligées d’être formidables 100% du temps ».
Nourrir les récits post-MeToo
Au fil des années, Anne Bouillon a recueilli la parole de centaines de femmes victimes de la violences des hommes et d’un système patriarcal. Cette accumulation d’expériences et de récits, elle la transmet enfin dans son livre et cette bande dessinée. Dans ce dernier ouvrage, le combat d’Anne Bouillon est incarné à travers la dizaine d’histoires de plaignantes mises en images par la dessinatrice Lison Ferné. « En BD, on est tout de suite là, dans l’intimité de la discussion et du cabinet. On voit les attitudes des corps pendant les audiences, les regards », se réjouit Charlotte Rotman, qui est aussi la scénariste de l’album. Elle poursuit : « On a besoin d’entendre ces voix, de les lire. Depuis la bascule post MeToo, je m’attache, en tant qu’éditrice, à favoriser les fictions, non-fictions, BD et documentaires qui portent ces récits. Il y a un important rattrapage à faire ».
Depuis le 2 septembre 2024, les procès des viols de Mazan exposent l’ampleur de la domination masculine dans notre société. Mais la prise de conscience collective et la remise en question qui en découle est possible seulement grâce à la lutte menée par des militant.e.s depuis des décennies. Anne Bouillon en fait partie.
Affaires de Femmes. Une vie plaider pour elles. Anne Bouillon. Ed L’Iconoclaste
Les femmes ne meurent pas par hasard. Charlotte Rotmann, Anne Bouillon, Dessins de Lison Ferné. Ed Steinkis
Lire aussi dans Les Nouvelles News :
Une farouche liberté : « Gisèle Halimi est une héroïne inspirante pour la jeunesse »
« Avocate, Bâtonnière », la féminisation des noms coincée à Strasbourg