Malgré le mouvement MeToo, des institutions et beaucoup de médias continuent d’excuser ou même glorifier des violeurs pendant que les victimes subissent des violences. Les féministes se battent sans relâche pour dénoncer l’impunité.

Cette semaine marque les sept ans du mouvement MeToo. Le 13 octobre 2017, #Balancetonporc voit le jour en France. Le 15 octobre 2017, suite à l’enquête du New York Times sur le producteur Harvey Weinstein, l’actrice américaine Alyssa Milano lance un appel sur Twitter : « If you’ve been sexually harassed or assaulted write “me too“ as a replay to this tweet ». Des milliers de réponses lui parviennent et, très vite, le mouvement dépasse le seul cadre du cinéma américain. Des femmes du monde entier dénonçent, certaines pour la première fois, les violences qu’elles ont subi. Si en 2006, la militante afro-américaine Tarana Burke avait déjà lancé le mouvement MeToo pour soutenir les femmes victimes de violences sexuelles, ce hashtag, grâce à la portée des réseaux sociaux, marque un point de bascule.
Depuis, la parole se libère, l’écoute aussi. Mais, la menace d’un retour de bâton pèse sur les femmes et leurs droits. Alors que les féministes tentent d’amener à une prise de conscience collective, l’impunité des agresseurs persiste.
L’impunité triomphante
Depuis son ouverture le 2 septembre 2024, le procès des viols de Mazan lève le voile sur les mentalités arriérées ancrées dans la société. Le traitement médiatique de cette affaire illustre ce phénomène : cette semaine encore, le journal La Provence titre : « « Je suis un rescapé » : Jérôme B. et Cyril F., ceux qui ont dit non à Dominique Pelicot à la barre ». L’article poursuit : « Placés sous le statut de témoin assisté, ils sont venus raconter ce qui leur avait mis la puce à l’oreille et décidé de ne pas accepter la proposition du principal accusé. ». Pourquoi glorifier ainsi des hommes qui n’ont pas dénoncé les viols organisés de Gisèle Pélicot ? Sur X, Camille et Justine, comme bien des féministes, ironisent sur ces récits qui tressent des couronnes de lauriers à ces accusés.
Et ça continue : le procès des trois pompiers pour « faits d’atteinte sexuelle sur mineure, en réunion » sur une adolescente de 14 ans en 2009 s’est ouvert le 15 octobre dernier. Alors que les trois hommes étaient accusés de fellations forcées , le juge d’instruction avait déclaré en 2019 que la plaignante s’était montrée « entreprenante, aguicheuse et provocante ». L’avocat de la victime dénonce une « vision moyenâgeuse », comme le rapporte France Info.
Sept ans après MeToo, le système judiciaire n’a pas beaucoup évolué. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, seulement 8 % des femmes victimes de violences sexuelles se sont rendues au commissariat ou à la gendarmerie et elles ne sont que 6% à avoir porté plainte. Pourquoi cette proportion reste-t-elle si faible ? Parce que le système judiciaire inflige de nouvelles violences aux victimes. C’est ce que soutient l’avocate Anne Bouillon : « Pendant des années, j’ai assisté trop souvent, impuissante, à la violence produite par l’institution judiciaire elle-même et celle de son bras armé, l’institution policière : plaintes non traitées ou refusées, plaignantes renvoyées à leur propre responsabilité, silence total opposé à toute question sur le traitement de leur dossier quand il ne s’agissait pas de propos dénigrants, critiques, culpabilisants. La culture du viol, cette idée qui veut que la victime d’un viol en soit coresponsable, a éloigné durablement les femmes de la justice dans une crise de confiance terrible. », écrit-elle dans son livre Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles (éd de L’Iconoclaste)
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Des avancées mais…
« Un mouvement incroyable s’est lancé mondialement. La parole s’est libérée… les femmes ont été un peu écoutées. Mais les conséquences ne sont pas encore vraiment là. On est toujours avec 1% des violeurs qui sont condamnés », déplore la journaliste Cécile Delarue, l’une des premières plaignantes dans l’affaire PPDA, sur le plateau de France Info le 15 octobre 2024. Le même jour, la députée Sandrine Josso, invitée du 20H de France 2, s’indignait que le sénateur Joël Guerriau, soupçonné de l’avoir droguée dans le but de la violer en novembre 2023, occupe toujours ses fonctions et conserve sa légion d’honneur. Depuis, 150 élus de Loire-Atlantique appellent Joël Guerriau à démissionner. « Quand on est victime, on a toujours besoin de soutien », admet Sandrine Josso. Pourtant, sept ans après MeToo, les institutions continuent de protéger les agresseurs.
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Les féministes ne lâchent rien
Malgré une résistance masculiniste de la société, les féministes ne lâchent rien. Pour soutenir Gisèle Pelicot, des dizaines, centaines et même des milliers de femmes se rassemblent régulièrement dans toute la France pour lui manifester leur soutien. Provoquer un débat autour du viol, faire avancer sa définition juridique, introduire la notion de consentement dans le code pénal et pour que la honte change de camp. C’est ce qui a poussé Gisèle Pelicot à refuser le huis clos lors du procès. « Ça va très lentement. Mais, néanmoins, on a quand même beaucoup avancé en sept ans. Pour le procès Mazan, c’est quand même la plus belle victoire de MeToo, Gisèle Pelicot est applaudie aujourd’hui. Je peux vous dire qu’en 2011 je n’étais pas applaudie », se remémore sur France Info la romancière Tristane Banon, qui avait dénoncé les agressions sexuelles et la tentative de viol de Dominique Strauss-Kahn à son encontre.
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Par ailleurs, le neveu de l’abbé Pierre a témoigné pour la première fois le 7 octobre sur France Bleu Isère et évoque la « sexualité “problématique“ » de son oncle, connue de toute la famille. Cependant, il affirme qu’ils ignoraient les agressions sexuelles commises par ce dernier, récemment accusé par 24 femmes. « En fait, sans le mouvement MeToo, qui les aurait crues ? En même temps, tout le monde savait qu’il y avait un problème, l’Eglise, l’Etat, qui n’a pas voulu lui remettre la Légion d’honneur, et même Emmaüs, qui n’avait pas intérêt à l’époque à ce que cela se sache », reconnaît-il.
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Pour que les victimes ne se sentent plus responsables des violences qu’elles ont subies, une libération de l’écoute est nécessaire. Un travail mené quotidiennement par les associations féministes qui accompagnent les victimes. La semaine dernière, nous sommes allées à la rencontre du Collectif Féministe Contre le Viol qui, depuis 1986, maintient une permanence téléphonique nationale ouverte aux victimes de viol. Depuis 2021, une seconde s’adresse aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance. En 2013, le CFCV comptabilisait 3974 appels. En 2023, ce chiffre a presque doublé : 7407 appels. (Pour en savoir plus, lire : « Le CFCV tente de garder la tête hors de l’eau« )
Reconnaitre la culture du viol
« En France, on a du mal à reconnaitre qu’il existe une culture du viol. 51% des viols sont dans la sphère conjugale, 9 victimes sur dix qui connaissent leur agresseur », rappelle l’essayiste Flora Ghebali sur France Info le 15 octobre. Pour tenter d’apporter une réponse collective, l’hebdomadaire Le 1 du 9 octobre pose la question : « Comment empêcher les hommes de violer ? ». Son rédacteur en chef, Julien Bisson, insiste dans son édito : « Reconnaître cette domination et ses séquelles, c’est aussi ouvrir la porte à l’espoir. Car si ces violences sont essentiellement culturelles, alors cela signifie qu’il n’y a pas de fatalité et qu’il est possible de les combattre ». Quelques semaines auparavant, dans une tribune, 200 hommes s’engageait déjà à lutter contre la domination masculine. (Pour en savoir plus, lire : « La tribune des hommes contre la domination masculine diversement appréciée« )
À l’occasion de la Journée internationale de la fille, le 11 octobre, l’Unicef a établi que « plus de 370 millions de filles et de femmes en vie aujourd’hui – soit une sur huit – ont subi un viol ou une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans ». Auparavant invisibilisées, voire normalisées, ces violences sont désormais dénoncées. MeToo a permis de faire exister la voix des victimes dans la sphère publique. Néanmoins, des obstacles structurels et culturels ont la peau dure. Pour les dépasser, une prise de conscience collective et des décisions politiques sont plus que jamais nécessaire. (Lire : Face au faible investissement de l’Etat, une « coalition pour une loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles »)
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