Dans l’affaire de la tuerie de Rivesaltes, la presse, une nouvelle fois, « requalifie » en histoire d’amoureux éconduit des affaires de viol et de violence. Comment les femmes qui lisent « amour » quand elles pensent « terrorisme » peuvent imaginer être prises au sérieux si elles portent plainte ?
Encore un. Encore un qui tout récemment a immédiatement bénéficié de l’immunité amoureuse accordée par certains journalistes en matière de violences conjugales, qualifiant le meurtrier d’« amoureux déçu » : celui-ci, dépossédé de son objet fétiche, en l’occurrence une femme de 30 ans quand il en a 78, saisit un fusil et prend la vie de trois innocents. Nous sommes le 3 mars.
Et puis, le lendemain, la déclaration du procureur, citant la jeune femme : Joachim Toro la violait depuis son enfance (il avait 58 ans à l’époque, et elle 10), payant pour que ça dure. Quand elle a enfin trouvé le courage de dire non, la violence est passée à un niveau supérieur : menaces et harcèlement.
Or, voici les titres du premier jour : « Une déception amoureuse à l’origine du triple meurtre de Rivesaltes » ; « Trois hommes abattus à Rivesaltes : un drame du dépit amoureux » ; « Fusillade/Rivesaltes : fureur amoureuse » ; « Une rupture amoureuse à l’origine de la tuerie » ; « Un amant déçu »…
Ces titres sont la plaie des violences conjugales (on entend par « violence conjugale » toute violence émanant de quelqu’un avec qui on a, ou on a eu, une relation intime, pas besoin d’avoir été marié ni concubin, donc). Ils sous-entendent, comme souvent le contenu des articles, la culpabilité de l’amour, et par conséquent, de la femme concernée. Il faut comprendre : si elle ne l’avait pas quitté, tout cela ne serait pas arrivé. Or, c’est l’inverse : si elle part, elle se sépare, c’est pour échapper aux cris, aux viols et souvent, aux coups et blessures. Pour survivre, voire, vivre libre.
Les écoles de journalistes ne forment pas à ces questions
« Amoureux éconduit, crime passionnel, drame de la rupture, différend conjugal… », dit la presse. Alors les femmes qui lisent « amour » quand elles pensent « terrorisme » se demandent qui va les prendre au sérieux si elles tentent de parler de leur situation. D’autant que partir, c’est souvent plus difficile et plus risqué que de rester.
Pourquoi en est-on là ? Parce que les écoles de journalistes ne forment pas à ces questions, laissant au sensationnel du fait divers la priorité sur la réalité bien concrète des situations. Par exemple, sur les 25 femmes qui ont tué leur conjoint ou ex-conjoint en 2009, 12 ont agi pour sauver leur peau : « C’est lui ou moi ». C’est ça, la réalité.
La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, prévoit des cours de sensibilisation destinés « aux médecins, aux personnels médicaux et paramédicaux, aux travailleurs sociaux, aux agents des services de l’état civil, aux agents des services pénitentiaires, aux magistrats, aux avocats, aux personnels de l’éducation nationale, aux personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs et aux personnels de police et de gendarmerie. »
Il est grand temps d’inclure les futur/es journalistes. De prévoir, dans les écoles de journalisme, des formations aux questions de violences sexistes et sexuelles. Leur apprendre que si un homme tue sa conjointe ou son ex-conjointe, ou quiconque en vue, point de romantisme : c’est parce qu’il est orgueilleux, s’estime tout-puissant. On n’est pas dans l’amour, on est dans la domination (ici, justement, tout concorde : viol sur mineure, chantage financier, menaces…) Leur expliquer, aux futur/es journalistes, qu’il ne faut pas voir là une crise isolée : il y a forcément des antécédents, une relation parsemée de cruautés diverses. Que ce n’est jamais par déception amoureuse que l’on tue sa femme, son ex-amie ou le nouveau compagnon de celle-ci, ses enfants, ou trois passants.
Natacha Henry, dernier livre paru : Frapper n’est pas aimer, enquête sur les violences conjugales en France (Denoël, 2010).