L’ONG We are not Weapons of War publie une enquête indépendante sur les viols commis lors des attaques du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, et après. Armes de guerre, les violences sexuelles restent trop souvent impunies après les conflits.
À chaque conflit armé, les femmes sont victimes de viols et de violences sexuelles. Une première étude indépendante, menée par l’ONG We are not Weapons of War (WWoW), dresse un bilan des exactions commises le 7 octobre 2023, jour des attaques du Hamas contre Israël.
Lors de cette journée, le Hamas a lancé une série d’attaques terroristes sur le territoire israélien. Depuis, un conflit armé perdure. Suite à des mois d’enquête, WWoW est désormais capable d’affirmer – dans un rapport prépublié par ELLE et commenté par Céline Bardets, créatrice de WWoW, juriste et enquêtrice criminelle internationale – « qu’il y a bien eu des violences sexuelles le 7 octobre ».
4 viols établis par WWoW
L’ONG explique avoir pu rassembler suffisamment d’éléments pour identifier quatre viols commis par les commandos du Hamas. Pour vérifier l’exactitude des faits, Céline Bardets s’est entretenue avec des organisations de la société civile, des institutions (police, armée, justice, renseignements) ainsi que des familles de victimes mais jamais directement avec les femmes victimes de ces violences. La parole reste verrouillée par le traumatisme.
Grâce à deux témoins oculaires, l’ONG a pu établir que « deux femmes ont été violées par deux hommes armés le long de la route 232, dans le sud d’Israël, empruntée par les victimes qui participaient au festival de musique Nova pour fuir les attaques des commandos du Hamas », comme le rapporte l’article du magazine ELLE. Un troisième viol serait survenu lors de l’attaque du kibboutz de Kfar Aza, l’une des premières cibles du Hamas le 7 octobre 2023. Un témoin affirme avoir vu une femme « subir un viol par un homme armée, à l’intérieur d’une maison ». Enfin, WWoW a enquêté sur les viols subis par Amit Soussana, ex-otage à Gaza et la seule femme à avoir publiquement fait le récit de sa captivité.
L’ONG lève aussi le voile sur la question des violences sexuelles post mortem. « On est en mesure de dire, au vu des photos et de vidéos, qu’elles font partie du modus operandi de l’attaque du 7 octobre », confie Céline Bardet à ELLE. Elle détaille : « grand acharnement sur des corps, avec humiliations, mutilations, et certaines formes de violences sexuelles », des « blessures par balles sur les parties intimes, seins et organes génitaux » et un cas « d’entrejambe brulé et lacéré ». WWoW a dénoncé ces exactions dès le début de la guerre. Mais, une stratégie de désinformation à conduit à l’invisibilisation des violences sexuelles. Avec ce rapport, Céline Bardets entend mettre fin à ce silence.
Des victimes de violences sexuelles des deux côtés
Si ce rapport préliminaire a davantage investigué les viols commis lors des attaques du 7 octobre par le Hamas, il expose aussi les exactions de l’armée israélienne sur les Palestiniens. Notamment, une vidéo montrant un homme, détenu dans la prison de Sde Teiman, violé par des soldats israéliens. Ce viol a par la suite été reconnu par l’armée israélienne.
En février 2024, déjà, sept expertes de l’ONU alertaient sur des violences commises par l’armée israélienne sur les femmes et les filles gazaouies. Des exécutions. Mais aussi des détentions arbitraires au cours desquelles les femmes sont violées – les rapporteures de l’ONU sont parvenus à établir le viol de deux détenues – mais également des humiliations et des traitements dégradants. France 24 rapporte qu’une vidéo d’AJ Plus France montre « un groupe de femmes détenues mises à nus et bâillonnés dans un stade ».
WWoW ne compte pas arrêter son travail. L’objectif est de poursuivre l’enquête dans le but de documenter toutes les violences sexuelles commises lors de l’attaque du 7 octobre et après. Parce que les violences sexuelles ne sont pas isolées mais bien utilisées comme arme de guerre, aussi bien par le Hamas que par l’armée israélienne.
Le viol : une arme de guerre reconnue mais impunie
Lors d’un conflit armé, des viols sont systématiquement perpétrés. Dans un précédent rapport, UN Women évaluait « entre 250 000 et 500 000 femmes et filles violées au cours du génocide rwandais en 1994, plus de 60 000 durant la guerre civile en Sierra Leone, entre 20 000 et 50 000 pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine et au moins 200 000 en République démocratique du Congo depuis 1996. Bien que scandaleuses, ces données sont, dans la plupart des cas, largement sous-estimées par rapport au nombre réel de victimes dont la plupart ne s’est jamais manifestée auprès des autorités. ». De conflit en conflit, le viol demeure une constante.
Lors des attaques du 7 octobre, « de nombreuses allégations ont émergé concernant des violences sexistes et sexuelles, non pas en tant qu’événements isolés, mais s’inscrivant dans le cadre plus large de l’attaque : allégations de viol, de mutilations génitales commises sur le corps des femmes et des hommes », avance WWoW. En janvier 2024, Celine Bardets détaillait à France Info l’utilisation du viol comme arme de guerre : « L’objectif diffère selon les conflits : il peut être de semer “la terreur” comme ce que font “Daech ou Boko Haram au Nigeria”. Il peut viser à procéder à un “nettoyage ethnique comme il s’est passé au Rwanda. En République démocratique du Congo ou en République centrafricaine, le viol va être utilisé pour déplacer des populations. Parce qu’il y a des zones dans ces pays-là qui sont extrêmement riches et qui ont des ressources en minerais extrêmement précieux. »
Reconnu comme arme de guerre depuis 2019
Qu’en dit le droit pénal international ? Depuis 2019, le viol est reconnu comme arme de guerre. Pourtant, UN Women précise qu’« il reste encore massivement impuni, perpétuant l’impunité. (…) Dans de nombreux pays sortant d’un conflit, la violence sexiste arrive en tête de la liste des crimes que la police doit traiter, même si cela reste un chiffre très largement sous-estimé. Les cas portés à la connaissance de la police font eux-mêmes rarement l’objet d’une véritable enquête, conduisent très peu souvent à des arrestations et ne débouchent quasiment jamais sur des condamnations. »
« Les événements du 7 octobre 2023, par leur nature, leur gravité et leur ampleur, peuvent être constitutifs de crimes internationaux au sens du droit pénal international. Notamment, les crimes sexuels sont expressément inclus dans le Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI), comme des actes constitutifs de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de génocide », précise le rapport de WWoW.
Les viols documentés restent rares. Sur le terrain, la presse subit de fortes pressions et 135 journalistes ont été tués depuis le 7 octobre. Malgré tout, des images témoignent de l’horreur du conflit. Mais l’évocation des violences sexuelles reste marginale. Or, elles sont quotidiennes et pleinement intégrées aux stratégies guerrières. Suite au rapport de WWoW, la communauté internationale ne peut désormais plus détourner le regard.