Avec Dissidente, le canadien Pier-Philippe Chevigny réalise un magnifique premier long métrage. Brillamment porté par Ariane Castellanos, le film est une fiction politico-sociale sur le sort de travailleurs guatémaltèques au sein d’une usine québécoise. Mais aussi un beau portrait de femme forte.
Le film dénonce la triste réalité de l’esclavage moderne au Canada. Des travailleurs étrangers sont employés dans une usine de la Vallée du Richelieu, région agricole du Québec. C’est dans ce contexte que, Ariane, interprétée avec brio par Ariane Castellanos, est embauchée en tant que traductrice-interprète pour faire le lien entre la direction et les ouvriers. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques.
Ce long métrage est le résultat d’une enquête de près de 10 ans de la part du réalisateur. Dès 2013, celui-ci a entrepris d’enquêter sur ces travailleurs hispanophones, et notamment guatémaltèques, qui viennent travailler au Québec (60.000 par an). Un bon sujet de documentaire finalement devenu fiction. « Personne ne voulait parler publiquement des abus et de l’exploitation par peur des représailles. De facto, mon projet est devenu une fiction puisque c’était la seule façon de dire la vérité tout en protégeant l’anonymat des témoins » explique Pier-Philippe Chevigny.
Au coeur de ce bouleversant long métrage, Ariane Castellanos crève l’écran. Son personnage découvre rapidement les conditions inhumaines auxquelles sont confrontées les ouvriers et ne tarde pas à s’élever contre l’exploitation dont ils sont victimes. Les ouvriers sont conscients des abus subis mais ne peuvent rien faire. Ils doivent tout accepter sous peine d’être renvoyés dans leur pays et remplacés en un claquement de doigts. Car même si les conditions sont terribles, ils sont nombreux à se bousculer pour espérer « avoir la chance » de faire partie de cette main-d’oeuvre.
Leur seul espoir apparaît avec le personnage d’Ariane, elle aussi d’origine guatémaltèque. Dans un univers principalement masculin, elle prend des risques pour dénoncer cette exploitation. Quitte à tout perdre, elle n’hésite pas à tenir tête à son responsable, très justement interprété par Marc-André Grondin. Le réalisateur explique : « Je voulais que le patron qui les emploie ne soit pas l’archétype du méchant, qu’il soit plus nuancé. Pour moi, ce ne sont pas les individus qui sont à blâmer mais un système où tout le monde est à la fois victime et complice. »
La caméra suit Ariane de près, la filme beaucoup de dos, nous permettant de nous immerger nous aussi dans les coulisses de cette usine. Cette approche cinématographique confère ainsi à la fiction un aspect documentaire, initialement envisagé. Pier-Philippe Chevigny explique d’ailleurs que tout n’est pas fiction puisque certains témoignages recueillis par des ouvriers victimes d’abus ont été ajoutés au scénario.
Récompensé dans plusieurs festivals, Dissidente est un film humaniste, véritable critique du capitalisme et d’un système où les bourreaux sont à la fois des victimes et où les victimes peuvent elles aussi devenir des bourreaux. Dans ce marasme ambiant, la voix dissidente d’Ariane redonne un peu d’espoir en l’humanité.
Dissidente de Pier-Philippe Chevigny, drame (1H29), produit par Les Alchimistes Films. Avec Ariane Castellanos, Marc-André Grondin, Nelson Coronado, Luis Oliva, Eve Duranceau. En salles le 5 juin 2024.