Faire d’un tabou un super pouvoir. C’est le tour de force réalisé par Tess Kinski, autrice de la BD « Super Cyprine« . Cette héroïne lutte contre les agressions sexistes et sexuelles grâce à sa… cyprine corrosive ! Ce récit d’empouvoirement jouissif et cathartique se poursuit dans un tome 2. L’occasion de rencontrer son autrice. Interview.
Comment vous est venue l’idée de Super Cyprine ?
Un jour, comme beaucoup de femmes, je me suis fait insulter dans la rue. J’en parle toujours comme d’un drame alors que c’est finalement très banal… Dans ces situations, je ne réponds pas parce que la peur prend très souvent le dessus. Je réagis toujours de manière décevante pour moi-même et je me fais toujours le film de comment j’aurais dû réagir. Pour extérioriser, j’ai imaginé cette alter ego de fiction qui, elle, n’a pas peur ! Je me suis demandée qu’est-ce qui permettrait à une femme de ne pas avoir peur, notamment du viol. Le sexe féminin est une partie du corps tellement mystifiée depuis des siècles que je voulais jouer sur cette symbolique. C’est un endroit fort et en même temps qui provoque une peur chez les femmes. Je voulais renverser ça grâce à sa cyprine, ce liquide sécrété à l’entrée du vagin, qui est corrosive.
Super Cyprine s’inscrit dans ce sillon de nouveaux personnages féminins forts en BD. Ce manque de représentation, notamment culturelles, a-t-il contribué à entretenir la peur ressentie par les femmes dans l’espace public ?
C’est toute l’essence de mon propos. Quand j’étais ado, j’ai manqué de modèle. Il y en avait bien-sûr mais c’était toujours des femmes sexy, imaginées par des hommes… En tant que femme, on est entretenue dans nos imaginaires comme des personnes passives qui subissent les situations. Je ne suis pas pour la violence dans la vraie vie mais c’est cathartique d’avoir, dans la fiction, une représentation de la violence des femmes. C’est important qu’on se construise avec la possibilité de pouvoir répondre à ce harcèlement de rue. Je pense que c’est une option qu’on n’envisage même pas instinctivement.
Dans la BD, vous évoquez l’idée de faire justice soi-même, à défaut que la Justice ne le fasse. On sait que ces agressions ne sont presque jamais punies…
Je ne suis pas en train de dire qu’il faut faire justice soi-même. Mais la réalité est que nous ne sommes pas défendues par la Justice. Avec cette BD, mon but est simplement qu’on s’autorise à répondre aux harceleurs. Il y a d’ailleurs de plus en plus de femmes qui le font et elles racontent que les mecs sont sidérés. On a le droit de laisser parler notre colère, notre rage et de se réapproprier notre vie pour simplement arrêter de la subir !
Dans ce tome 2, il y a un gang de justicières qui vengent les victimes d’agressions et d’harcèlement sexuel. Or, au sein de ce groupe, il y a des visions différentes sur les manières d’agir.
Tout à fait. C’était une façon pour moi d’illustrer les différentes branches du féminisme. Certaines plus radicales et d’autres plus modérées. Je ne trouve moi-même pas ma place dans une seule partie du féminisme. L’idée avec Super Cyprine est d’éprouver toutes ces pensées et de symboliser tous ces discours à travers différents personnages. Cette BD est mon terrain d’expérimentation !
Vous dites vouloir tester toutes les théories féministes qui vous touchent à travers cette BD. Ça se ressent lors de la lecture, le récit est très vivant. Le personnage de Cypri évolue au fil des tomes… Envisagez-vous déjà la suite ?
J’ai le tome 3 en tête ! Après reste à voir si cela peut se faire… Mais j’aimerais me pencher davantage sur les théories de l’éco-féminisme. Notamment sur le concept de « contre-violence ». Théorisé par Françoise D’eaubonne, ce concept désigne le fait de réagir à une violence avec une forme de violence extérieure, c’est-à-dire qui n’est pas dirigée vers des individus mais plutôt vers le sabotage… Je pense qu’avec la cyprine corrosive de mon héroïne, il y a de quoi faire !
Super Cyprine de Tess Kinski. Éd Massot, 160 pages, 20€.