La mise en examen récente de dirigeants de sites pornos laisse espérer la fin de l’impunité pour les pornocriminels. Mais le milieu mobilise les plus grands communicants pour raconter la fable du consentement.
Mardi 14 juin, le parquet de Paris annonçait avoir placé en garde à vue le propriétaire du site pornographique « Jacquie et Michel », Michel Piron, son épouse et trois autres personnes. Ils sont mis en examen pour des faits d’« agressions sexuelles » ainsi que pour complicité de plusieurs infractions parmi lesquelles « viols aggravés », « proxénétisme aggravé » et « traite des êtres humains » a précisé le parquet de Paris.
Une action en justice avait été lancée par Osez le féminisme !, le Mouvement du Nid et l’association Les Effronté·es, qui avaient fait un signalement au procureur de la République et une enquête avait été ouverte en juillet 2020 à Paris. Ces associations soutiennent par ailleurs des dizaines de victimes.
Mais il a fallu attendre le lundi 20 juin pour que le groupe Canal+ annonce mettre fin à la diffusion de la chaîne porno « Jacquie et Michel TV » sur ses bouquets.
Avec de petits moyens face à la puissante industrie du porno, les associations dénoncent depuis longtemps la « pornocriminalité » : « toute une chaîne d’exploitation sexuelle, qui a pignon sur rue, et qui gagne des milliards en diffusant des viols tarifés de femmes » explique Céline Piques d’Osez le féminisme ! Des viols et actes de tortures jusqu’ici peu ou pas sanctionnés par la justice. Les victimes sont détruites psychologiquement avant d’avoir l’idée de porter plainte et leurs éventuelles plaintes sont généralement classées sans suite, le système judiciaire estimant qu’elles étaient a priori consentantes pour subir n’importe quel acte dès qu’elles tournaient un film porno.
Une brèche ouverte
La pugnacité des associations, quelques enquêtes journalistiques et des fonctionnaires de police et de justice lucides ont permis d’ouvrir une petite brèche dans cette opinion largement répandue. Une enquête en quatre volets publiée dans Le Monde fin 2021 décrit un système sordide comparable au système prostitutionnel, fait de prédateurs qui fondent sur des femmes fragilisées. L’enquête cite l’exemple d’un homme, par ailleurs auréolée d’une image de bon père de famille, passant ses soirées à repérer ses proies, entrer en contact avec elles sur les réseaux sociaux sous une fausse identité de bonne copine qui va les soutenir, et les inciter progressivement à se prostituer pour résoudre leurs problèmes d’argent. Il leur demande alors de louer une chambre d’hôtel dans laquelle viendra un client. Et ce client, c’est lui ! Il les viole, les force à des actes explicitement non consentis comme des sodomies violentes, des coups… Ne leur donne jamais l’argent promis. Et pour qu’elles se renflouent, il les incite, sous l’identité de la copine, à tourner dans des films pornos. Nouveau piège, beaucoup se retrouvent dans des « bukkake », ces scènes violentes où une jeune femme se fait éjaculer dessus par des dizaines d’hommes, subissent les pires sévices avec des viols, des coups et se retrouvent jetées comme des objets au milieu de nulle part quand elles sont considérées comme hors d’usage par les producteurs.
L’enjeu de la lutte contre cette pornocriminalité est double : en finir avec des actes criminels et ne pas laisser les jeunes associer sexualité à violence.
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Cette lutte sera rude. L’industrie du porno est un business international qui diffuse largement sur la Toile partout dans le monde. Les dénonciations et sanctions ont du mal à endiguer ce déferlement d’images terribles. Mais quelques sanctions tombent. Mercredi 22 juin était annoncée la démission de deux des principaux dirigeants de la société canadienne MindGeek, maison mère de Pornhub et YouPorn, l’une des plus puissantes entreprises de l’industrie pornographique mondiale. Une nouvelle enquête du magazine The New Yorker dénonçait les échecs de la modération de Pornhub. Ces départs interviennent quelques mois après la dénonciation de la diffusion de vidéos de viols et de vidéos pédocriminelles. A l’époque, Mastercard et Visa avaient décidé d’interdire le paiement de ces sites avec leurs cartes.
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En France, la Délégation des Droits des femmes au Sénat prépare un rapport qui devrait permettre d’engager un mouvement.
Alerte
Mais face à ce mouvement de lutte contre la pornocriminalité, les industriels du porno déploient de grands moyens. Fin 2021, un article du site LavoixduX.fr (sic!) intitulé « Xvideos engage la crème du lobbying de l’empire Bolloré », reprenait une information de la Lettre A. L’article annonçait : « le patron français de la multinationale porno, Stéphane Pacaud, s’offre les services du cabinet d’avocat Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan et de l’agence de communication Plead, filiale du groupe Havas, pour préparer sa contre-attaque légale ; soit la fine fleur du lobbying international. » Si l’appui d’un cabinet d’avocats peut se comprendre pour se défendre devant un tribunal, celui d’une très grande agence de communication rompue au lobbying est très problématique. Il s’agit pour les industriels du porno, de noyauter les réseaux d’influence afin de peser bien plus lourd que les associations de droits des femmes dans l’opinion et sur le législateur. L’objectif de cette communication étant de « dissuader l’autorité d’aller plus loin dans la régulation », comme l’explique La Lettre A. Le lobbyiste en question fait partie du groupe Bolloré qui détient Canal+….
Le 18 juin sur France Info, Céline Piques, la porte-parole d’Osez le féminisme ! regrettait que Michel Piron soit ressorti libre du tribunal, alors que le parquet avait requis son placement en détention provisoire. Elle craint une entrave à l’enquête. Pour elle, cette remise en liberté pourrait empêcher « d’autres victimes de dire ce qu’elles ont vécu » et montre que le juge n’a pas saisi « l’ampleur de l’enquête ».
Cette contre-offensive rappelle les réactions démesurées lorsqu’avait été engagée la lutte contre le système prostitutionnel (Lire : PROSTITUTION : LES CLIENTS OCCUPENT LES MÉDIAS)
Il faut lire ou écouter la « lettre à un adjudant » d’Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, sur France Inter le 17 juin dernier. Elle s’adresse à ceux qui se battent pour faire tomber les pornocriminels et se termine par ces mots : « Monsieur l’adjudant, pendant l’enquête, vos équipes vous ont vu pleurer. C’est ce qui se passe quand on est en empathie, quand on réalise que ce ne sont pas des corps factices mais des humaines, comme vous, comme nous, victimes de sévices. Si cette affaire est pour vous tout à coup si importante, c’est que vous vous mettez à espérer, que grâce aux futurs procès, nous nous reconnections tous et toutes, à notre propre humanité. »