Elles représentent 30% des créateurs d'entreprises mais n'obtiennent que 10% des soutiens publics... Les aides à la création d'entreprise et à la création d'emplois sont rarement analysées sous l'angle du genre. Pourtant, elles sont loin d'être neutres. Et bénéficient plus aux hommes qu'aux femmes.
Le sexe de l’économie… C’est l’objet de notre prochain colloque, le 29 mars. Voici une première enquête sur le sujet. Les aides à la création d'entreprise et à la création d'emplois sont rarement analysées sous l'angle du genre. Pourtant, elles sont loin d'être neutres. Et bénéficient en effet plus aux hommes qu'aux femmes.
Pas de chiffres, pas de problèmes ?
Au moment du vote de la loi Tepa, rares ont été les voix dénonçant l’impossibilité pour la plupart des femmes de bénéficier de la défiscalisation des heures supplémentaires, et plus généralement du "travailler plus pour gagner plus". Tout simplement parce qu’elles assument encore aujourd’hui 80% des tâches domestiques et parentales ce qui leur permet difficilement d'engranger des heures sup'. C'est ainsi : "En France, les analyses genrées des politiques économiques ne sont quasiment jamais faites", constate Isabelle Guéguen, consultante en égalité professionnelle et innovation sociale, cofondatrice du cabinet de conseil Perfégal. Les directives européennes appuient pourtant sur la nécessité de réaliser ces études d'impact et Roselyne Bachelot, ministre des solidarités en charge des droits des femmes en a souvent formulé le vœux. Las, les chiffres sont... inexistants. "On a beaucoup, beaucoup de mal à obtenir des données sexuées sur la création d'entreprise au niveau de la ville", reconnaît ainsi Thérèse Rabatel, adjointe au maire de Lyon, déléguée à l'Egalité femmes-hommes, aux Temps de la ville, aux Handicaps.
Sans chiffre, difficile de faire des politiques efficaces. "J'incite les collectivités à produire elles-mêmes des données genrées", insiste Isabelle Guéguen, qui aide les collectivités signataires de la Charte européenne pour l'égalité des hommes et des femmes dans la vie locale à mettre en place des plans d'action.
Femmes : 31 % des chefs de TPE mais 10 % des aides
Les rares études qui ont été réalisées apportent pourtant la confirmation de que l'on pressent: les politiques publiques économiques ne sont pas neutres. Elles ont un sexe. Définitivement masculin. Lorsqu'elle faisait partie du Conseil général du Finistère, Isabelle Guéguen a ainsi mené une étude sur deux types de politiques : les bourses destinées aux jeunes créateurs d'entreprise de moins de 30 ans, et l'aide aux très petites entreprises (moins de neuf salariés) qui a pour vocation de favoriser la création d'emplois. "L'objectif était simple: voir qui bénéficiait de quoi", explique-t-elle. Les résultats sont sans appel : au moment de l'étude, les femmes représentaient à peine 22% des bénéficiaires de cette aide à la création d'entreprise alors qu'elles constituaient 34% des créateurs d'entreprise de moins de trente ans dans le Finistère. Elles étaient moins de 10% à recevoir l'aide aux très petites entreprises alors qu'elles représentaient 31% de la population visée. De plus, les emplois créés par cette dernière aide étaient à 83% destinés à des hommes...
Question de secteur d’activité
Comment expliquer de tels hiatus? "Nous avons pu démontrer que deux critères, apparemment neutres, nécessaires à l'obtention de ces fonds étaient en fait indirectement discriminants: le secteur d'activité des entreprises et l'âge des créateurs", explique Isabelle Guéguen. Les aides étaient en effet attribuées aux entreprises oeuvrant dans le domaine de l'artisanat de production, du bâtiment, de l'industrie, et des services aux entreprises. Des secteurs plutôt très masculins. Les femmes, elles, investissent plutôt le service aux particuliers, l'éducation, la santé, l'action sociale. Elles représentaient à l'époque de l'étude 47,5% des créateurs dans ces secteurs. En ce qui concerne les bourses destinées aux jeunes créateurs, un âge limite avait été fixé à 30 ans. Une barrière plus difficile à franchir pour les femmes, compte tenu de l'impact de la maternité sur leurs parcours professionnels.
Revoir les règles
Forte de ces constats, Isabelle Guéguen a pu délivrer quelques recommandations: ouvrir les aides à d'autres secteurs comme les services d'aide à la personne ou le commerce en milieu rural, d'une part; augmenter la barrière d'âge à 35 ans pour les jeunes créateurs d'entreprise, d'autre part. Ces changements simples ont eu un effet radical et quasi immédiat. "En trente mois, la part des femmes bénéficiaires de la bourse d'aide à la création d'entreprise a bondi à 48%", souligne Isabelle Guéguen.
Un résultat encourageant... Une autre recommandation n'a, elle, pas été retenue, celle de donner un bonus aux très petites entreprises recrutant une femme pour un emploi dit "masculin", dans le cadre des aides aux très petites entreprises "L'idée du bonus pose problème, les élus ont du mal à passer à cette étape supérieure", constate Isabelle Guéguen. La crise et la nécessité d'opérer à moyens constants sont sûrement un frein puissant; le fait que les chambres de commerce sont à grande majorité masculine peut aussi constituer un obstacle culturel non négligeable...
Ce type d'étude est malheureusement plutôt l'exception que la règle. Aujourd'hui, dans les collectivités, on en est encore à un (gros) travail de sensibilisation... Même si l'on sent ici ou là les choses bouger, notamment depuis 2006 et le lancement par le Conseil des communes et des régions d'Europe de la Charte européenne pour l'Egalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Au Conseil général de l'Essonne, par exemple, l'intégration du genre dans les politiques publiques n'existait quasiment pas, "à part dans des actions symboliques comme la veille sur les stéréotypes", reconnaît Mar Merita Blat. Cette chargée de mission à l'égalité entre les femmes et les hommes à la Mission de citoyenneté et d'accès aux droits travaille actuellement à la mise en place d'un nouveau plan d'action dans lequel le genre est beaucoup plus pris en compte. "Cela passe par une réflexion sur la conditionnalité des aides, sur la féminisation des métiers, sur l'entreprenariat féminin", explique-t-elle. Rendez-vous en juin, pour le vote de ce plan... A Lyon aussi, la mairie a entrepris un travail sur la mixité des métiers.
En attendant de mettre en place des politiques publiques prenant en compte le genre, la Ville, gros employeur de la région avec près de 10000 salariés, s'applique à elle-même ces nouveaux principes. "Nous avons fait un rapport de situation comparée sur la Ville de Lyon pour analyser les différences de déroulement de carrière entre les hommes et les femmes; nous travaillons aussi à la féminisation des offres d'emplois comme des fonctions et des titres et de manière générale, à la mixité des métiers dans les deux sens", souligne Thérèse Rabatel. Une manière de regarder en face le fait que oui, le sexe compte décidément dans les politiques économiques.
C.A.
Aides publiques à la création d'entreprise très mâlLa suite de cet article est réservée à nos abonné·es.
➤ Pour soutenir le travail de la rédaction et permettre à ce journal d'exister
➤ Pour accéder à l'ensemble de nos articles (plus de 7500), archives et dossiers
Informez-vous, engagez-vous, ABONNEZ-VOUS !
♦ Déjà abonné.e ? Connectez-vous ♦