Alors que la féminisation de la programmation et des prix progresse, une enquête de L’Humanité pointe du doigt la direction du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême et sa gestion des VSS. La 52e édition du festival marque une scission au sein du 9ème art.
Après cinq jours de rencontres, de dédicaces et de remises de prix, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (FIBD), qui s’est déroulé du 29 janvier au 2 février, touche à sa fin. La 52e édition de ce grand rendez-vous annuel du milieu de la BD a été rythmée par une importante mobilisation suite à l’enquête de la journaliste Lucie Servin, publiée dans L’Humanité. La journaliste lève le voile sur l’environnement de travail toxique imposé par 9e Art +, la société gérante du festival, et, surtout, sur le licenciement d’une salariée après qu’elle ait porté plainte pour viol.
Avancées
L’édition 2025 avait pourtant « bien » commencé. Trois femmes finalistes du Grand Prix, l’une des consécrations ultimes dans le 9ème art : Catherine Meurisse, Alison Bechdel et Anouk Ricard (la lauréate 2025). Une grande première ! Peu à peu, l’événement s’éloigne du scandale de son édition 2016, où aucune femme ne figurait sur la liste des prétendants au Grand Prix. (À lire : « Aucune femme pour le Grand Prix d’Angoulême : les créatrices appellent au boycott« )
La programmation de cette année a aussi fait la part belle aux créatrices de bande dessinée. Une exposition au Musée d’Angoulême consacrée à Posy Simmonds, lauréate du Grand Prix 2024. Une autre, au musée du Papier, sur la scénariste Julie Birmant, dont les BD célèbrent les artistes femmes « oubliées ». Ou encore une conférence avec les autrices Alix Garin et Aude Mermillod, réunies pour questionner le female gaze [le regard féminin] en BD.
Cela n’était-il qu’un écran de fumée ? Un semblant d’égalité et d’avancées féministes pour camoufler un sexisme persistant ?
Reculs
Quelques jours avant l’ouverture du festival, L’Humanité révèle dans une enquête l’envers du décor de cette 52e édition. Dans son papier, la journaliste Lucie Servin expose les dérives de la société gérante du festival : management toxique, burn-out qui s’additionnent et partenariats douteux. Mais ce qui a véritablement mis le feu aux poudres, c’est la révélation d’une plainte pour viol.
L’article de L’Humanité rapporte qu’en 2024, lors du festival, *Chloé [le prénom a été modifié par le journal], ancienne responsable de la communication pour la société 9e Art +, affirme avoir été violée. Après une soirée électro, organisée par le festival, elle se réveille nue chez un collègue, un prestataire de services pour le compte du FIBD. Elle n’a aucun souvenir de la veille mais ce dernier lui dit qu’ils ont eu un rapport. La jeune femme, agée de 29 ans, soupçonne un viol chimique et décide d’en parler à sa responsable des ressources humaines. La seule réponse qu’elle reçoit : prendre la pilule du lendemain. Quelques jours plus tard, Chloé appelle le délégué générale de la société, Franck Bondoux. Ce dernier aurait alors nié toute responsabilité du festival, l’agression étant survenue “en dehors des heures de travail”.
Chloé décide finalement de porter plainte pour viol. Résultat : Franck Bondoux la convoque, lui reproche un comportement inadmissible et la licencie pour « faute grave ».
Quelques jours avant sa 52e édition, le festival publie un communiqué dans lequel il dénonce des « attaques infondées » et ajoute : « S’agissant des accusations portées par une de nos anciennes collaboratrices, nous les réfutons avec la plus grande fermeté et sommes déterminés à apporter tous les témoignages démontrant qu’à aucun moment l’organisation de l’entreprise n’a failli dans ses obligations vis-à-vis de cette salariée. »
Une « manif en ligne »
Une « manif en ligne » s’organise tout au long du festival. Auteur.rice.s, dessinateur.rice.s, éditeur.rice.s et coloristes affirment leur volonté d’un changement de direction et affichent leur soutien à Chloé. Rapidement, la mobilisation s’étend dans Angoulême, où les tags « Chloé on te croit » surgissent sur les murs et sur les stands des éditeurs.
Dans un communiqué, le Syndicat des Éditeurs Alternatifs considère que « la société 9e Art+ n’a pas seulement failli sur le plan humain, elle a aussi manqué à toutes ses obligations légales » et ajoute : « Nous souhaitons exprimer notre totale solidarité avec la victime et lui dire une chose très simple: “Nous te croyons.“ ». Le Syndicat national de l’édition estime quant à lui que « cette affaire doit être traitée par toutes et tous avec la plus grande attention et la considération qu’elle mérite. Les éditeurs BD du SNE souhaitent que toute la lumière soit faite, y compris par voie de justice. ».
Lors des différentes cérémonies remises de prix, les auteur.rice.s récompensé.e.s n’ont pas hésité à se faire entendre. « On a pu voir que la sécurité des femmes n’était pas une priorité [au festival] », a déploré la scénariste Isabelle Bauthian, lauréate du prix des écoles, avec Anne-Catherine Ott pour Léonarde (éd Drakoo). Lauréate du prix des lycéens avec Carole Maurel, pour Bobigny 1972 (Glénat), Marie Bardiaux-Vaïente, historienne, scénariste et membre du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, s’est dit « extrêmement choquée » par les faits révélés par L’Humanité. Enfin, Elsa Klée, éditrice du fanzine Fanatic Female Frustration et lauréate du Fauve de la bande dessinée alternative, a interpellé le festival : « Prenez vos responsabilités quand des VSS ont lieu sur le festival ! ».
Depuis décembre 2022, suite à l’affaire Bastien Vivès – accusé de diffuser une culture de l’inceste dans ses livres et d’avoir tenu des propos violents à l’égard de la dessinatrice Emma -, un MeToo BD grandit. Des dizaines de témoignages de violences sexistes et sexuelles ont été récoltés. Sur Instagram, le compte MeToo BD le martèle : « Il est temps que les choses changent » et rappelle aussi que « les faits dénoncés illustrent une fois de plus la non prise en charge par le FIBD de la question des violences sexistes et sexuelles. Par le passé, plusieurs mouvements de protestation ont déjà interpellé le festival sur ces questions », en faisant référence à l’invisibilisation des créatrices en 2016 et à la programmation de l’exposition de Bastien Vivès lors de l’édition 2023 du festival.
À l’unisson, les syndicats et créateur.rice.s de BD réclament un changement. Ils appellent l’association du festival à ne pas renouveler le contrat qui les lie à la société 9e Art+. Le but ? Faire du FIBD un « bien commun ».
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Lire : Bande dessinée : les femmes sortent de leur bulle. Une histoire mixte du 9ème art
par Clara Authiat,. Collection ÉgalE à Égal, coéditée par Le Laboratoire de l’égalité et LNN édition. 74 pages, 9 euros
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