Pour apaiser la crise de la petite enfance, la Cour des comptes recommande un allongement du congé maternité mais pas du congé paternité. Cette mesure peut accentuer les inégalités femmes-hommes à la maison comme au travail. Les féministes s’en inquiètent.
Places en crèche de plus en plus rares et professionnel.les de la petite enfance surmené.e.s. Le secteur est à bout de souffle. Pour tenter de le soulager, la Cour des comptes, juridiction indépendante chargée de l’étude du bon emploi de l’argent public, a publié un rapport le 12 décembre 2024. Ses propositions ? Une meilleure rémunération du congé parental, actuellement indemnisé au maximum à 449 euros par mois, couplée à un allongement du congé maternité à cinq mois ce qui permettrait de libérer 35 000 places pour un coût net de 350 millions d’euros par an. « Le développement de la garde parentale, moins onéreuse pour les finances publiques » que l’accueil en crèches, « pourrait réduire la demande d’accueil » et « compenser, en partie, la réduction du nombre d’assistantes maternelles », estime la Cour.
Les femmes endossent toute la charge de la parentalité
« Aucune féministe ne sera contre l’extension d’un congé maternité, admet Elsa Foucraut, membre de l’association Parents & Féministes, avant de préciser : Aujourd’hui, seulement une minorité de femmes peuvent reprendre le travail à l’issue du congé maternité. La majorité doit prolonger d’une manière ou d’une autre, souvent en bricolant avec les RTT ou le congé parental ».
Si la proposition de la Cour des comptes a du bon, un élément dérange : « Le rapport recommande d’allonger le congé maternité dans le but de réduire la pression sur l’offre de mode de garde et que ce soient les mères qui s’occupent des enfants. On parle bien des femmes, pas des parents », s’insurge Elsa Foucraut. En effet, dans son rapport, la Cour ne suggère aucun allongement du congé paternité, fixé à 28 jours.
Parents & Féministes n’est pas le seul collectif à s’en indigner. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 15 janvier 2025, plusieurs voix féministes, comme l’économiste Céline Piques, membre du Haut Conseil à l’égalité et porte-parole d’Osez le féminisme ! ou Ingrid Darroman, membre de la Fondation Copernic et du Collectif national pour les droits des femmes, dénoncent à l’unisson : « Proposer d’allonger le congé maternité en oubliant le congé paternité va à l’opposé d’une politique pour l’égalité et pour l’investissement des hommes auprès des enfants dès leur naissance. »
Pourquoi allonger le congé maternité et pas le congé paternité ? Pour l’économiste Hélène Périvier, spécialiste des politiques sociales, familiales et des inégalités entre les sexes, c’est une question propre au modèle du congé parental français.
Un congé parental français incompatible avec un modèle nordique
Pour comprendre les recommandations de la Cour des comptes, ce rapport doit être remis dans son contexte : augmenter la capacité d’accueil des jeunes enfants (moins de 3 ans) sans faire exploser le coût pour les finances publiques. Selon l’économiste Hélène Périvier, la proposition d’allongement du congé maternité s’inspire du modèle des pays nordiques, où la première année de l’enfant se passe auprès de ses parents avant d’être placé dans une structure de garde extérieure à la sphère familiale. Or, « la spécificité du modèle français, par rapport à la plupart des pays européens, est de permettre aux femmes de reprendre le travail relativement rapidement après la naissance d’un enfant », précise l’économiste.
Mais la transposition du modèle des pays scandinaves à la France pose problème. En France, les congés maternité et paternité sont envisagés différemment. « Leur fonction s’inscrit dans le contexte du retour de couche de la femme qui a accouché et c’est un moment où les deux parents tentent de trouver leur place. Les deux congés peuvent être pris simultanément. C’est aussi le cas pour une adoption. », détaille Hélène Périvier.
Cela peut expliquer, en partie, le choix de la Cour des comptes. « Le congé paternité, à partir du moment où il est synchronisable avec le congé maternité, ne permet pas de désengorger la contrainte d’accueil du jeune enfant. Le prolongement du congé maternité, comme il est déjà plus long, permet forcément d’étendre le temps de garde. Une solution aurait pu être d’allonger le congé paternité mais d’annuler la possibilité de superposition avec le congé maternité. Mais ces congés ont d’abord été pensés pour accompagner les deux parents au moment de l’arrivée de l’enfant et non dans une articulation avec la vie professionnelle ».
Vers davantage d’inégalités ?
Les premiers mois qui suivent la naissance sont déterminants. Pour l’enfant, mais aussi pour les parents et la répartition des tâches. Un nouveau rapport de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), publié le 23 janvier 2025, s’est penché sur la paternité et note que les inégalités dans le couple persistent après le retour au travail.
Les hommes tendent à se tourner vers les « activités susceptibles de renforcer, à leurs yeux, leur relation avec l’enfant » et « la priorité est souvent redonnée à l’emploi ». Laissant aux mères le linge et la charge mentale des repas et du quotidien. « Il y a un véritable continuum d’inégalités entre la sphère domestique et la sphère professionnelle. Pour un homme, la naissance d’un enfant ne va pas profondément changer son activité et à la maison on observe ce qu’on nomme une « paternité auxiliaire », où la mère est le parent principal et le père le parent secondaire, pointe du doigt Elsa Foucraut avant d’ajouter : C’est tellement institué par la structure des congés maternité et paternité qu’il est très difficile pour un couple de sortir de ce schéma, même s’ils défendent des valeurs égalitaires ».
La maternité reste un biais de discrimination dans la sphère professionnelle
Dans le milieu professionnel, la maternité continue d’être vue comme un « risque » par les employeurs. « La maternité est un facteur qui pèse sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Ce que l’on craint avec la recommandation de la Cour des comptes, c’est de voir les inégalités entre les parents s’exacerber », alerte Elsa Foucraut de Parents & Féministes.
L’allongement du congé maternité peut-il renforcer les inégalités, notamment au travail, pour les femmes comme le craignent les féministes ? « Il est impossible de savoir les effets que ça produira, insiste Hélène Périvier, avant d’ajouter : En revanche, plusieurs travaux passés menés dans le secteur bancaire, où le congé maternité est plus généreux, peuvent nous donner des indications. À partir d’une expérience d’envois de CV à de vraies annonces au sein d’une banque, on a observé que les jeunes femmes qui postulent à des emplois très qualifiés ne sont pas reçues pour un entretien alors que des femmes plus âgées et des hommes de tout âge le sont. Ce biais de discrimination s’observe beaucoup moins pour des postes peu qualifiés où un remplacement est plus facile à organiser lors du congé maternité ».
Si les inégalités professionnelles ne se résument pas au congé maternité, il reste un biais de discrimination important lors de l’embauche. Ces inégalités auraient même contribué au choix de la Cour des comptes. C’est ainsi que l’interprète Hélène Périvier : « Aux regards des inégalités salariales persistantes en France, allonger le congé paternité dans les mêmes conditions que le congé maternité coûterait plus cher puisque, en moyenne, les hommes sont mieux payés que les femmes ».
L’économiste conclut : « Ce qu’il faut c’est une politique publique ambitieuse en matière d’accueil du jeune enfant. C’est ce qui était prévu mais elle ne se déploie pas aussi vite, ni avec la qualité nécessaire espérée ». Même constat pour Elsa Foucraut de Parents & Féministes : « L’important c’est d’avoir des politiques publiques qui ne mettent pas en difficultés les parents. ». En attendant, la solution temporaire reste de faire peser la charge sur les femmes et d’entretenir les inégalités domestiques et professionnelles.
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