Poussée de conservatisme et de sexisme chez les hommes, hausse de l’aspiration à l’égalité chez les femmes, le baromètre du sexisme en France réalisé par le HCE fait un focus sur « la polarisation ». Le masculin l’emporte sur le féminin… même dans le document présentant le baromètre (pas dans le rapport).
Premier choc en découvrant la nouvelle édition du « baromètre sexisme » produit par Toluna Harris Interactive pour le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ? Le document présentant les résultats de l’enquête de ne respecte pas les recommandations du « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe » rédigé par… le HCE en 2022 (après une première édition en 2015).
Le masculin l’emporte
Ce document évoque «les Français » et non «les Français·es». Des « e » entre parenthèses, minimisent l’importance du féminin (page 66). La règle de grammaire « le masculin l’emporte sur le féminin », contre laquelle le HCE lutte depuis sa création, s’est immicée.
Interrogé par LesNouvellesNews, le service de presse du HCE explique que «le baromètre est produit et rédigé par l’institut Toluna Harris Interactive, qui n’a pas les mêmes codes d’écriture que nous» (ce baromètre était réalisé par Vivavoice auparavant) et ajoute : «les rapports sont désormais tous rédigés en écriture inclusive pour respecter ce guide pratique rédigé par notre instance, et il n’est pas question que cela change.» L’autre document, le rapport intitulé « Etat des lieux du sexisme en France », qui contextualise le baromètre, signé par le HCE, respecte en effet les règles de communication sans stéréotypes.
En 2024, le HCE a connu des bouleversements avec un changement de présidente et le départ de quelques membres de cette institution. Bérangère Couillard a été nommée, le dernier jour du gouvernement Attal, pour prendre la suite de Sylvie Pierre-Brossolette à la tête de l’institution (lire ici).
Deuxième choc : ce travail intitulé « A l’heure de la polarisation », donne lieu à des titres mettant sur le même plan « masculinisme » et « féminisme » en reprenant une phrase de Bérangère Couillard extraite du communiqué de presse : « Les femmes sont plus féministes et les hommes plus masculinistes, surtout les jeunes ». Or les deux termes ne sont pas symétriques. Le masculinisme veut amplifier la domination des hommes sur les femmes. Le féminisme veut l’égalité des sexes et le respect des droits des femmes.
Opinions masculinistes en hausse
Sur le fond, le rapport confirme des tendances lourdes : les opinions masculinistes et traditionalistes gagnent de plus en plus d’hommes jeunes, tandis que les jeunes femmes aspirent à plus d’égalité et de sécurité.
Lire : Génération Z : hommes conservateurs, femmes progressistes
94% des femmes de 15 à 24 ans et 86% des 25-34 ans estiment qu’il est plus difficile d’être une femme dans la société actuelle, soit 14 points de plus qu’en 2023 (La progression est de 17 points en 2 ans.) Seulement 67% des hommes de 15-24 ans partagent cet avis, ce qui représente néanmoins une hausse de +8% par rapport à 2023. Mais l’idée selon laquelle il est plus difficile d’être un homme qu’une femme progresse aussi, surtout chez les plus jeunes. 45% des hommes de moins de 35 ans le pensent, tout comme un quart des Français dans leur ensemble.
Grand écart de perception des inégalités entre femmes et hommes
Neuf Français·es sur dix « considèrent que les hommes ont un rôle à jouer dans la prévention et la lutte contre le sexisme », mais seulement 65 %, ont été confortés dans cette idée par l’affaire dite « Pelicot ».
La perception des inégalités est toujours bien plus faible chez les hommes que chez les femmes. « L’écart est particulièrement flagrant en ce qui concerne la perception d’inégalités dans les médias (18 points d’écarts), la vie de famille (19 points), le monde politique (17 points) et le monde du travail (15 points). » écrit Toluna.
Idem pour le sexisme ordinaire ou les blagues sexistes. Les hommes se disent massivement choqués seulement dans des situations extrêmes. « 96% lorsqu’un homme insiste pour avoir un rapport sexuel avec une collègue en « échange » d’une promotion ou d’une évolution professionnelle (+5 points), 96% lorsqu’un homme gifle sa conjointe (+3), 88% lorsqu’une femme se fait siffler dans la rue (+4), 86% lorsqu’un homme insiste pour avoir une relation sexuelle avec sa conjointe (+4). »
La morale sexiste s’ancre dans les têtes : 76% des hommes estiment que les femmes doivent être fidèles en amour, 42% qu’elles doivent avoir peu de partenaires sexuels.
Les médias en cause
Et, pour remonter aux sources de cette « polarisation », le rapport rédigé par les membres du HCE commence par les médias. De plus en plus dominés par l’extrême droite, les médias « d’information » libèrent la parole et les représentations sexistes. Sans garde-fou.
Certes, les questions de violences sexistes et sexuelles sont globalement de plus en plus traitées dans les journaux, mais cette tendance est largement contrebalancée par deux éléments qui alimentent ces violences : « les femmes restent invisibilisées et les propos sexistes trop coutumiers, trop peu contrôlés et trop peu contredits » résume le rapport.
Globalement, dans les médias audiovisuels, le taux de parole des femmes sur l’ensemble des émissions « ne dépasse pas 36% depuis 2019 (il a même baissé de deux points en 2023, tombant à 34 % (contre 66% de temps de parole masculin). Aussi, on parle encore moins des femmes (31%) qu’on ne les entend (34 %) ou qu’on ne les voit (36 %). »
Les discours antiféministes font flores quand par exemple CNews fait de l’avortement la première « cause de mortalité dans le monde » ou quand des émissions plaisantent avec le viol. La pub n’est jamais en reste pour banaliser le viol ou le féminicide. (Lire : Quand une publicité plaisante avec le féminicide) et les questions insidieuses vont bon train quand des journalistes interrogent les femmes artistes sur des complexes qu’elles pourraient (devraient !) avoir quant à leur âge ou leur physique.
Des préconisations renouvelées
9 Français sur 10 sont favorables à des programmes d’éducation à l’égalité, à la vie affective et sexuelle. Mais bien des médias relaient ad nauseum la désinformation propagée par ceux qui y sont opposés. La tolérance au sexisme est telle que les propos sexistes sont, de manière générale, 4 à 6 fois moins signalés par les auditeurs que les propos racistes ou homophobes. Et les condamnations pour propos sexistes sont quasi inexistantes.
Le HCE réitère ses recommandations pour faire reculer le sexisme : L’éducation à l’égalité, une réforme du congé paternité/parental, une plus grande mixité et parité dans le monde professionnel, des budgets sensibles au genre et l’adoption de critères d’égaconditionnalité dans l’ensemble des aides et financements publics, un engagement plus important des hommes…
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