Une humoriste appelle au boycott de Simone Média pour son appartenance à l’empire Bolloré. Un vif débat s’ensuit. La question du financement des médias féministes est loin d’être réglée.
« Boycotter Simone Média et Bolloré ». Dans une vidéo publiée le 28 décembre, l’humoriste Margot Demeurisse partage sa surprise et sa déception lorsqu’elle découvre que le propriétaire du média feministe Simone Média est le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré. Elle appelle alors au boycott du média. Un appel relayé par le collectif Nous Toutes et des dizaines d’internautes.
Itinéraire d’un média appelé Simone
Créé en 2018, Simone Média se définit comme « un média d’information féminin et pop 100% vidéo, 100% digital, 100% engagé ». Diffusé exclusivement sur les réseaux sociaux, ce média veut proposer « une nouvelle version des féminités et souhaite éveiller les consciences en matière de sexualité, d’environnement, de droit des femmes ou sur la relation femme-homme ».
En 2021, Prisma Média, le groupe auquel appartient Simone Média, est racheté par Vivendi, qui appartient à Bolloré. Lors de ce rachat, l’équipe ne change presque pas et Cécile Dauguet est toujours à la tête de Simone Média qu’elle a cofondé. La ligne éditoriale reste la même. « Simone Média est avant tout une équipe de journalistes sincèrement engagé.e.s et féministes », défend Chloé Thibaud, sur son compte Instagram. Journaliste, elle publie aussi des posts sous le nom de “La Pause Simone“ depuis 2022 et vient de sortir un livre qui décortique les discours faisant accepter le sexisme : « Désirer la violence. Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer » (Les Insolentes). L’équipe de Simone Média ne peut pas être suspectée de vouloir faire du « féminisme washing » en faveur du groupe Bolloré.
Soutiens
Les journalistes de Simone Média ont reçu de nombreux soutiens. « Vous êtes plusieurs à m’avoir envoyé “vite désabonne-toi et partage l’info“. En fait : non, s’insurge le compte Culot créative sur Instagram : Of course cette nouvelle me fait chier mais j’ai été journaliste pendant 9 ans, je sais aussi que tant que les journalistes restent en poste, iels vont continuer à transmettre un vrai travail féministe et d’intérêt public. C’est le principe de faire des conférences de rédaction. Sachez que les journalistes font front ensemble et très régulièrement pour vous fournir l’info la plus juste ».
La journaliste Elsa Gambin partage cet avis : « Le travail de Chloé Thibaud est de grande qualité. Si demain elle se retrouvait entravée par qui que ce soit, nul doute que ses valeurs la pousseraient à prendre le large. Nous travaillons quasi tous.tes pour des médias tenus par des milliardaires. De mon côté, Télérama appartient à Xavier Niel hein. Tant que nous sommes totalement LIBRES c’est même notre devoir de rester et de continuer à porter notre parole. »
Entrisme
L’essayiste Gala Avanzi va même jusqu’à dire : « Faut arrêter de prendre les problèmes à l’envers. Bien sûr que ça craint que Prisma Média ait été racheté par Bolloré, mais si on peut avoir un peu de féminisme chez ces couilles molles, c’est déjà une victoire. ». Maud Le Rest, journaliste et autrice, se dit atterrée par l’appel au boycott : « Citez-moi un seul média et maison d’édition 100% safe. Ce n’est pas une révélation : tout le monde sait que Simone appartient à Prisma. (…) Bolloré a racheté énormément de choses, et si c’est pas lui c’est d’autres fascistes. Alors on fait quoi ? On arrête de bosser ? On se fait déjà lourder de toutes les rédactions qu’on côtoie en tant que féministes de gauche ».
Et Margot Demeurisse, à l’origine de cette vague soudaine de haine contre Simone Média, a supprimé sa vidéo et s’est excusée.
Les magnats de la presse financent les manuels de soumission volontaire, pas la presse féministe.
Cet appel au boycott pose une nouvelle fois la question du financement de médias féministes et, par conséquent, de la propagation des idées féministes dans la société. Les plus grands médias, financés par une poignée de riches industriels comme Bolloré, propagent un regard patriarcal sur la société. Quand ils financent des médias faits par des femmes, ils le font le plus souvent pour gagner de l’argent grâce à la publicité. Ils financent des médias dits « féminins » qui s’adressent aux consommatrices plus qu’aux citoyennes pour leur vendre des vêtements, du maquillage ou des bijoux, leur apprendre à être sexy, à cuisiner, à bien s’occuper de leurs enfants, de leur maison et de leur mari. Ces « manuels de soumission volontaire » confortent le « male gaze », regard masculin sur le monde. Même si beaucoup de journaux féminins publient de nombreux articles féministes, ceux-ci sont contredits par les autres articles bourrés d’injonctions à l’adresse des femmes.
Le rouleau compresseur de la presse financée par ces grands groupes laisse peu d’espace aux médias féministes. Face à Cnews ou Europe1 ou le JDD qui font partie de la galaxie Bolloré et propagent des idées réactionnaires, Simone Média a peu de moyens pour propager des idées féministes. Sa visibilité, sur les seuls réseaux sociaux est bien moindre que celle de grands médias audiovisuels ou papier. Mais c’est une voix de plus et ce serait dommage de la faire taire.
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