17 janvier 1975 : la loi Veil rend l’IVG légale en France. En 2024, la liberté d’avorter est inscrite dans la Constitution. Un demi siècle d’avancées majeures pour les droits des femmes malgré une persistance des discours anti-avortement.
Ce 17 janvier 2025 est une date majeure pour les droits des femmes : depuis 50 ans, avorter est légal. Portée par Simone Veil, alors Ministre de la Santé, la loi qui porte son nom est alors promulguée. Ce texte dépénalise l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Une victoire pour toutes les femmes jusqu’alors soumises à la clandestinité et aux risques sanitaires.
Le long combat pour l’avortement
Les revendications pour le droit à l’avortement sont anciennes. Malgré la loi de 1920 qui en faisait un délit pénal sévèrement réprimé, les femmes ont toujours avorté. Au milieu des années 60, A.-M. Dourlen-Rollier, juriste engagée dans la lutte pour l’avortement, évalue près de 800.000 avortements clandestins pratiqués chaque année en France. Pour celles qui n’avaient pas les moyens de se rendre dans des pays où l’IVG est légale, l’avortement était réalisé dans des conditions sanitaires déplorables, menant souvent à des infections, à la stérilité ou à la mort.
En 1971, le manifeste des 343, signé par de nombreuses personnalités, telles que Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig ou Catherine Deneuve, mais également par des anonymes, brise le tabou de l’avortement. « Je me suis fait avorter », revendiquent-elles à l’unisson. Leur message : peu importe leur milieu social, l’avortement touche toutes les femmes.
Le procès de Bobigny marque une nouvelle bascule dans la lutte pour l’avortement. En 1972, l’avocate Gisèle Halimi s’empare du dossier de Marie-Claire Chevalier, adolescente violée par un camarade de classe puis poursuivie pour avoir avorté. Ce procès devient celui d’une justice et d’une politique qui domine les femmes et leur corps.
En toile de fond de ces actions publiques, le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) et de nombreuses associations féministes, comme Choisir la cause des femmes, fondée par Gisèle Halimi, assurent un soutien sans faille aux femmes qui cherchent à avorter sur l’ensemble du territoire.
En 1974, l’engagement de Simone Veil et son discours historique à l’Assemblée Nationale le 26 novembre 1974 finissent de faire pencher l’institution du côté de la cause des femmes. À lire : « Il y a 50 ans : Simon Veil défend l’avortement à l’Assemblée Nationale«
C’est la somme de tous ces combats qui permet aux femmes d’arracher ce droit et de disposer de leur corps comme elles l’entendent depuis un demi siècle.
Faire évoluer le droit à l’avortement
En 50 ans, le droit à l’avortement a connu plusieurs évolutions. Lorsque la loi est promulguée, l’IVG est légale seulement jusqu’à la dixième semaine de grossesse. Depuis le 2 mars 2022, ce délai s’étend jusqu’à la fin de la 14e semaine.
En outre, les conditions nécessaires pour pratiquer un avortement sont désormais plus faciles à mettre en œuvre. En 2016, les sages-femmes sont autorisées à pratiquer des IVG médicamenteuses. En 2023, suite à la promulgation de la loi Gaillot, elles sont habilitées à pratiquer des IVG instrumentales. Cependant, le décret d’application de la loi, posait de nombreuses conditions, ne permettant pas le déploiement de cette mesure sur l’ensemble du territoire, comme la présence d’un « médecin compétent en matière d’IVG, un·e gynécologue obstétricien.ne, un·e anesthésiste réanimateur·ice ainsi qu’une équipe ayant la capacité de prendre en charge des embolisations artérielles ». Après une forte mobilisation, un nouveau décret assouplit les conditions d’exercice des sages-femmes qui peuvent pratiquer l’IVG instrumentale « dans les mêmes conditions de sécurité que celles appliquées aux médecins » depuis le 23 avril 2024, comme l’indique le site officielle de l’administration française. Lire : « Décret de la loi Gaillot : les sages-femmes empêchées dans la pratique de l’IVG instrumentale«
Dernière victoire en date : le 4 mars 2024, la liberté d’avorter est inscrite dans la Constitution, avec 780 voix pour et 72 contre. La France devient le premier pays à faire référence à l’IVG dans son texte fondamental. Lire : « Inscription de l’IVG dans la Constitution, pourquoi il faut célébrer la victoire«
« Merci l’avortement ! »
Ces avancées législatives et médicales ont également permis de faire évoluer le regard porté sur l’avortement. En 1974, Simone Veil parlait d’un « drame » dans son discours devant l’Assemblée Nationale. À raison, puisque de nombreuses femmes ont été marquées par des douleurs physiques et psychologiques causées par la clandestinité et les mauvaises conditions sanitaires. Mais beaucoup témoignent aussi d’une libération.
En parlant du discours de Simone Veil, Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne et fondatrice et directrice de la Maison des femmes à Saint–Denis, confie au micro de France inter : « Je pense qu’elle était obligée de le dire. Elle ne pouvait pas dire c’’est parfois génial. Faire peser ce truc hyper lourd, non, parfois ça résout une situation de vie insupportable, et merci l’avortement !’ ». Lors de cette même émission, Joëlle Tiano-Moussafir, 81 ans, qui a avorté clandestinement, se souvient : « J’avais l’impression que j’avais un mur devant moi, que je n’avais plus de futur et que j’étais coincée » et témoigne d’un « sentiment de liberté recouvrée, dix minutes après être sortie de chez le médecin ».
Suite à un appel à témoignages lancé par l’INA, dans le but de capter ces différents récits et une mémoire de l’avortement avant sa légalisation, le documentaire « Il suffit d’écouter les femmes » (disponible en replay sur France.tv jusqu’au 6 février) retranscrit aussi ce sentiment de soulagement. Ce fut le cas d’Yveline qui avait 16 ans en 1972 et qui témoigne dans le documentaire : « J’avais des ambitions, je savais ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être autonome, être indépendante, être une femme combative. Ma grossesse, si je l’avais gardée, ma vie n’aurait pas été celle qu’elle est. Elle l’aurait entravée indéniablement ».
Il suffira d’une crise…
Si l’accès à l’avortement a fortement progressé en France, le retour de bâton n’est jamais loin. Dans plusieurs pays, le droit à l’avortement est férocement attaqué, que ce soit sur internet, les réseaux sociaux ou par les gouvernements en place. Aux États-Unis, après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle, les masculinistes affirment leur volonté de domination des femmes avec leur slogan « Ton corps, mon choix ». Pour en savoir plus, lire : « Masculinistes déchaînés et féministes mobilisées après la réélection de Donald Trump«
En France, les militants anti-avortement restent actifs et usent de la désinformation. Encore en 2017, les sites qui « cherchaient à tromper délibérément les internautes en se faisant passer, au premier abord, pour des sites ‘purement informatifs’ » relatif à l’IVG pullulaient alors sur internet. L’Assemblée Nationale avait alors adopté une loi relative à l’extension du délit d’entrave numérique à l’IVG après une forte mobilisation des associations féministes. Les élus Républicains avaient alors voulu empêcher l’adoption de cette loi, considérant qu’elle portait « une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, d’expression et de communication ». Lire : « Le délit d’entrave numérique à l’IVG passe le cap du Conseil Constitutionnel«
Sur CNews, l’émission «En quête d’esprit» du 25 février 2024, réalisée en partenariat avec France catholique (groupe Bolloré), présentait l’IVG comme la plus grande «cause de mortalité» dans le monde et avançait même que l’avortement représentait «52 % des décès ». Choquant. Lire : « IVG : News en fait une cause de mortalité, puis Laurence Ferrari présente ses excuses«
Les mentalités arriérées restent présentes dans la société et la politique française. Lors des débats pour inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, plusieurs voix se sont élevées pour s’y opposer, comme Gérard Larcher. L’élu Républicain, président du Sénat, se disait « favorable à l’IVG », mais s’opposait à sa constitutionnalisation, l’IVG n’étant pas inquiété dans notre pays selon lui. Lire : « Gérard Larcher veut entraver la constitutionnalisation du droit à l’IVG«
Ce dimanche, les anti-IVG organisent des rassemblements pour célébrer, à leur façon, les 50 ans de la loi Veil. Avec la montée de l’extrême droite en France, le droit à l’avortement et l’ensemble des droits des femmes sont menacés. 50 ans après la victoire de la loi Veil, la vigilance est de mise !