Les athlètes de la lutte contre l’exploitation sexuelle et le système prostitutionnel sont-ils prêts pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris ? Pas sûr.
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Plus de 15 millions de visiteurs sont attendus aux Jeux de Paris, et déjà, l’Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains (OCRTEH) a repéré les signaux montrant que les proxénètes se préparent aussi à l’événement : ils tentent notamment de recruter des personnes sorties de la prostitution.
84% en milieu fermé
L’OCRTEH, qui coordonne la lutte contre la traite des êtres humains en France, indique qu’en 2023, 84% des victimes sont exploitées dans des milieux fermés (hôtels ou locations), quand la rue représente aujoud’hui 8% du trafic. Les 8% restant allant au « milieu de la nuit » et autres établissements de type « salons de massage ».
Lénaïg Le Bail, cheffe de l’OCRTEH, dresse le portrait de cette prostitution 2.0 à l’aube des J.O : à moitié française et à moitié d’origine étrangère, tant du côté des proxénètes que des victimes. D’origine étrangère, la prostitution provient à 62% de réseaux latino-américains. Les personnes françaises sont avant tout victimes du « proxénétisme de proximité » (« de cité » selon la précédente appellation discriminatoire), et issues de toutes les couches de la société. Beaucoup d’entre elles sont mineures.
La méthode française
Mais le repérage de ces réseaux de proxénétisme est compliqué. Pendant la coupe du monde de rugby 2023, la surveillance en ligne des principaux sites où sont diffusées des annonces d’offres de services sexuels n’avait pas permis de détecter une augmentation notable de la prostitution. Comme celle-ci est devenue quasiment invisible, les autorités ne peuvent pas prendre exemple sur les éditions précédentes des JO pour élaborer le plan anti-prostitution des Jeux de Paris : les trafiquants ont évolué et la réglementation n’est pas la même.
En 2016 en effet, la France a adopté une loi de lutte contre le système prostitutionnel qui confirmait sa position abolitionniste. Cette loi ne devait plus pénaliser les personnes prostituées mais les prostitueurs et les clients. Et elle prévoit des accompagnements pour aider les victimes à sortir des réseaux de prostitution.
Volet pédagogique
Le plan élaboré comprend d’abord un volet pédagogique. Le 11 juin dernier, au Tribunal Judiciaire de Paris, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) organisait avec l’École nationale de la magistrature (ENM), une journée de formation sur les risques liés à la traite des êtres humains. Tous les « professionnels de première ligne » étaient conviés « et notamment : magistrats, collaborateurs et fonctionnaires du ressort des cours d’appel de Paris, de Versailles et de Douai, avocats des barreaux d’Ile de France, policiers et gendarmes, inspecteurs du travail, éducateurs et encadrants de la PJJ et de la protection de l’enfance, travailleurs sociaux, professionnels de santé, acteurs associatifs… » .
C’était « la toute première fois (où) tous les acteurs de la chaîne de protection des victimes étaient mobilisés pour une formation pluricatégorielle » assure Roxana Maracineanu, la secrétaire générale de la Miprof. Avant, chacun agissait dans son coin. Dorénavant, une coopération entre les différents corps de métiers se met en place, dans le but de gagner en efficacité. «Cela ne va pas être opérationnel demain, mais pour les jeux, ce sera prêt» affirme la première secrétaire de la Miprof, chargée de la mise en œuvre du plan. D’autres formations sont prévues dans les autres grandes villes d’accueil des jeux, Marseille et Bordeaux.
Conventions avec les hébergeurs
Les plateformes de réservation d’hébergement telles que Airbnb, avec lesquelles des conventions de collaboration ont été passées pour les JO, « vont être aussi formées à la détection des réservations de logements suspectes. Leurs commerciaux pourront procéder à des signalements auprès des offices centraux de police.» C’est à ce niveau, en lien avec l’OCRTEH, que « les décisions d’intervenir ou pas en flagrance sur les lieux seront prises » précise l’ex-ministre des sports. Pour compléter, « les associations seront contactées en parallèle pour traiter la partie hébergement et santé des victimes, et faire en sorte qu’elles ne restent pas dans les appartements. Derrière, la procédure judiciaire s’enclenchera ».
Un dispositif qui semble au point… sur le papier. Dans les faits, la mobilisation gouvernementale ne semble pas au rendez-vous. Le garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti, annoncé lors de la journée de formation à l’ENM, en était absent. C’est Aurore Bergé, la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes qui en a assuré l’ouverture. Et depuis qu’elle évoque le sujet elle semble bien seule (Lire : UN PLAN ANTI-PROSTITUTION AVANT LES JO).
Campagne d’information
Outre ces formations, la Miprof va commencer à déployer une campagne d’information, en français et en anglais, dans les hôtels et via le réseau d’afficheur privé JCDecaux, ainsi que dans les préfectures, avant la fin du mois de juin. Un affichage dans les aéroports, les compagnies aériennes et ferroviaires est également prévu. Sur les réseaux sociaux, des vignettes et un film pédagogique incitant à appeler le 17 si l’on est témoin ou victime sont programmés.
Il s’agit d’informer les clients des risques qu’ils encourent. La loi française prévoit des amendes et des peines de prison. Quand la personne prostituée est majeure : jusqu’à 1500 € d’amende. Si elle a entre 15 et 18 ans : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Si elle a moins de 15 ans, elle est présumée non consentante, le client commet donc un viol : 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende.
Cette campagne s’est fait attendre… Elle est désormais visible sur le site du gouvernement. Elle reprend le vocabulaire des clients et, à la question « c’est combien ? » répond « jusqu’à 150.000 euros d’amende », précisant que « l’achat d’actes sexuels est interdit en France ». Elle fait écho à une campagne de 2016 (Lire EURO 2016 : CAMPAGNES POUR METTRE PROSTITUTION ET VIOLENCES MACHISTES HORS-JEU).
Un déploiement tardif
Le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains, regroupant 28 associations, s’impatientait ! « De notre côté, nous n’avons pas attendu autant pour démarrer notre campagne de sensibilisation visant à mieux faire connaître le lien entre l’exploitation et les grands événements sportifs. Un lancement de la communication gouvernementale à ce sujet à plus ou moins un mois des JO, ça nous inquiète un peu » confiait aux Nouvelles News Geneviève Colas, coordinatrice du collectif qui a commencé une campagne il y a six mois.
« Difficile de croire que tout va devenir opérationnel du jour au lendemain » regrette la secrétaire générale du Mouvement du nid, Lénaig Le Fouillé. Elle dénonce un nombre insuffisant de forces de l’ordre, de magistrats, et d’hébergements d’urgence pour faire face à l’état de la menace. Peut-être parce que « lors des réunions de préparation de la stratégie pour le plan anti-prostitution, on a quasiment jamais de participation de la part des ministères de l’Intérieur et de la Justice ». Et les élections qui se profilent ne l’incitent pas à l’optimisme. « Tout va être détruit si le Rassemblement National accède au pouvoir » craint-elle.
Entraves
En outre, bien avant les Jeux Olympiques, la lutte contre le système prostitutionnel est entravée par une insuffisante application de la loi du 13 avril 2016. Tant en ce qui concerne les sanctions -qui doivent viser les proxénètes et les clients et non plus les personnes prostituées- que l’accompagnement des parcours de sortie de prostitution. (lire : LA LOI DE LUTTE CONTRE LE SYSTÈME PROSTITUTIONNEL : SIX ANS APRÈS ).
Et, en termes de communication, Act-up et les associations pro-prostitution saisissent chaque occasion pour minimiser le fléau et accuser la loi de s’en prendre aux personnes prostituées. Ces groupes dénoncent « un mythe de l’augmentation des phénomènes prostitutionnels pendant les Jeux Olympiques ». L’augmentation de la prostitution pendant les grandes compétitions sportives n’est pas un mythe. Quelques données : en 2014, lors de la Coupe du monde de foot au Brésil, hausse de 30% de la prostitution. En 2010, l’Afrique du Sud lançait un appel à envoyer 1 milliard de préservatifs pour les 20% de supporters qui allaient s’adonner au « tourisme sexuel » lors du même événement. En 2006, lors du mondial en Allemagne était construites des maisons closes et des sortes de «drive-in» du sexe à proximité des stades… Et des voix s’élèvent en Allemagne pour déplorer la légalisation de la prostitution (Lire : « UN JOUR NOUS AURONS HONTE »).
Méconnaissance de la loi de 2016
Ces groupes regrettent aussi que les manifestations sportives soient l’occasion pour le gouvernement de punir les prostituées, en accroissant les contrôles, les confiscations de camions et les délivrances d’Obligations de quitter le territoire français (OQTF).
L’OCRTEH reconnaît que certaines préfectures, par méconnaissance de la loi, continuent de délivrer des OQTF aux personnes prostituées d’origine étrangère, alors qu’Aurore Bergé assure que la « protection de toutes les victimes doit être la priorité ». Sur le terrain, certaines forces de police traitent les victimes comme des criminels. « On a aussi des maires qui mettent des arrêts anti-prostitution et interdisent les camions », dénonce Lénaig Le Fouillé, phénomène qui s’était amplifié à Lyon lors de la coupe du monde de rugby.
Safe place, démantèlement des squats
Pour les JOP, les municipalités devront être exemplaires. Dans cette perspective, Saint-Denis a déjà mis en place un plan de lutte contre la prostitution. Et « on essaie de sensibiliser les villes et les préfectures pour qu’il y ait des lieux d’accueil et des traducteurs. Mais à part la ville de Paris qui a prévu des endroits de mise à l’abri, rien n’est concret », estime Geneviève Colas. Lénaig Le Fouillé tempère : « les élus aux droits des femmes ont prévu des ‘safe place’ dans pas mal de villes ».
Mais ces dispositifs sont insuffisants. Agathe Pichon, coordinatrice du Programme de Prévention et d’Accompagnement des Personnes en Situation de Prostitution (PAPSP) à Caen, dans le Calvados, estime qu’on déplace le problème : « les personnes prostituées en précarité extrême qui vivent dans des squats, ou encore dans des hôtels sociaux transformés en hôtels de tourisme à Paris et en Ile-de-France, se retrouvent évacuées en Normandie où les hébergements d’urgence sont désormais saturés. Elles ne peuvent être dûment protégées, une conséquence de plus en plus visible en région, à mesure que l’on se rapproche des JO ».
….et diplomatie féministe
Pour les associations comme pour la Miprof, « ce n’est qu’après les JO qu’on saura si cet été marquera un changement, tant du côté des réseaux que de la répression et de la prévention. C’est la raison pour laquelle le recueil de données lors des maraudes autant de rue que numérique, vont être un des axes d’action essentielle pour progresser à tous les niveaux » résume Geneviève Colas. « On a peur que le phénomène de prostitution pendant les JO passe sous les radars, mais au moins, on va essayer d’exercer une forme de diplomatie féministe pour montrer aux nations qu’une autre loi est possible », conclut Lénaig Le Fouillé.