Campagne choc pour le Mouvement du Nid qui a créé « le premier site d’escorts où toutes les filles sont déjà mortes ». Objectifs : attirer le client pour le sensibiliser à la violence du système prostitutionnel.
À première vue, le site Girls Of Paradise ressemble à des centaines d’autres. Des filles dénudées, en position aguicheuse, donnent leurs mensurations, alpaguent les clients et proposent un live chat. Mais Girls of Paradise a une particularité, c’est le « premier site d’escorts où toutes les femmes sont déjà mortes ».
Effet réussi pour le Mouvement du Nid et l’agence MacCANN, créatrice bénévole du site. Les profils sont faux mais « les tragédies bien réelles ». Nous commençons un live tchat avec Julia, 28 ans. Elle – un robot- nous propose de voir d’autres photos. Une première photo est envoyée, la jeune femme a le visage tuméfiée, une seconde, une troisième, le visage en sang. « Le corps de Julia, calciné, entaillé et massacré au poing américain, a été retrouvé aux abords du Bois de Boulogne. Assasinée par un client ». Le Nid avance désormais à visage découvert : « Quand on est client de la prostitution, on est complice des violences subies par les prostituées ».
Le site a vu le jour en mars 2016, peu avant l’adoption définitive de la loi qui prévoit la pénalisation des clients de la prostitution, après plus de deux ans de débat.
« Tu cherches à joindre Inès ? Ce ne sera pas possible. Inès est morte. Elle a été jetée d’un pont par son proxénète »
Quelques heures après son lancement, Girls of Paradise « avait déjà reçu 3 000 appels téléphoniques », raconte Grégoire Thery, militant du Nid en charge du plaidoyer. « À 16h nous lancions le site, à 16h15 nous avions déjà un appel. C’est assez effrayant de voir comment notre faux site a attiré les clients. Cela signifie que l’information circule vite sur les réseaux et que la responsabilité des sites internet est grande », explique aux Nouvelles NEWS l’ancien secrétaire général du Nid. « L’objectif de cette campagne est double : confronter les clients à ce qu’ils ne veulent pas voir, à l’envers du décor, et participer à une prise de conscience de la société sur la violence de la prostitution ».
Au bout du téléphone, des militantes du Nid. « Je t’appelle par rapport à ton annonce sur le site, j’aimerais savoir quelles sont tes pratiques et tes tarifs… », demande un client. « Tu cherches à joindre Inès ? », répond une militante du Nid. « Mais ce ne sera pas possible. Inès est morte. Elle a été jetée d’un pont par son proxénète ».
Les conversations sont psychologiquement intenses pour les ‘actrices’ d’un jour, militantes de l’association. « Il fallait vraiment des pauses entre deux appels pour pouvoir poser ses émotions. C’est difficile d’être détachée, on représentait des femmes qu’on voulait défendre dans la vie, il n’y avait pas de barrière, le contact était direct », raconte Anne-Marie.
« Rien n’a percuté. Il y a une incapacité d’empathie »
Après plusieurs écoutes de conversations téléphoniques, un constat : aucune prise de conscience ne vient de la part des clients. De la surprise, bien sûr, mais rien au-delà. « Plusieurs clients par exemple nous ont écouté, puis, 10 minutes après, ont rappelé une autre fille de notre site. Rien n’a percuté, il y a une incapacité d’empathie ».
La video de campagne, volontairement choquante, sera désormais en ligne sur Youtube et le site Girls of Paradise. La campagne sera récompensée le 28 septembre à New York par l’un des « Gold Clio Awards », une des principales récompenses du monde de la communication et de la publicité. Mais « elle n’a pas encore trouvé de gros diffuseur », regrette Christine Blec, secrétaire générale du Mouvement du Nid. « Nous faisons tout pour connaître la réalité de la prostitution, mais nos moyens sont mille fois inférieurs à ceux de l’industrie du sexe ».